En Pologne, l’épidémie du coronavirus avance, les droits des femmes reculent

À l’unisson de certains États des États-Unis qui ont restreint le droit à l’avortement sous le prétexte qu’il s’agit d’interventions « non-essentielles », les gouvernements conservateurs profitent de la crise sanitaire pour attaquer les droits des femmes. C’est le cas en Pologne où est rééexaminé un projet de loi visant à interdire les IVG et toute forme d’éducation sexuelle à l’école. Face à cela, les Polonaises ont manifesté, appuyées par la société civile internationale, comme l’Association Défense de la démocratie en Pologne (ADDP), qui en appelle à un débat européen. 

En pleine crise du coronavirus, la Diète polonaise a réexaminé en première lecture, le 15 avril dernier, un projet de loi visant à interdire totalement l’IVG en Pologne. Un autre projet de loi ayant pour objectif d’exclure toute forme d’éducation sexuelle des écoles a été débattu le même jour. 

Ces lois, pour l’heure renvoyées au réexamen en commission, offriraient de nouveaux gages à l’Église catholique, l’alliée indispensable du parti majoritaire Droit et Justice dans sa course à un pouvoir de plus en plus étendu. En effet, sous le couvert de menace épidémiologique, le Parlement vient de voter, de manière anticonstitutionnelle, une modification de la loi électorale afin de permettre le maintien des élections présidentielles prévues en mai prochain. Les Polonais seraient appelés à voter par correspondance, au mépris de la loi et des règles de sécurité sanitaire face à la propagation du Covid-19. 

Sous le signe de la foudre et du parapluie noir 

Confinées et ne pouvant pas se rassembler dans la rue pour protester, les Polonaises ont manifesté leur vive opposition depuis leurs voitures, en bloquant les carrefours des villes. Les affiches et slogans marqués de la foudre rouge, symbole de la colère des femmes, avec des parapluies dépliés, en référence aux manifestations noires d’il y a quatre ans, sont apparus aux balcons et fenêtres, dans les files d’attente des magasins alimentaires et sur les réseaux sociaux. 

C’est en 2016 qu’un projet de loi sur l’avortement a été initialement proposé au Parlement. Élaboré par Ordo Iuris, une organisation non-gouvernementale ultra-conservatrice, il prévoyait la peine d’emprisonnement allant jusqu’à cinq ans pour une femme qui aurait avorté ainsi que pour les médecins et les infirmiers pratiquant l’avortement. Cette proposition a alors déclenché la colère des Polonaises et provoqué une grève générale. On se souvient des milliers de femmes vêtues de noir qui sont sorties dans la rue pour défendre leurs droits. Sous leur pression, Droit et Justice a reculé et suspendu les travaux sur le projet. Jusqu’à aujourd’hui.

La loi sur l’avortement en Pologne est actuellement l’une des plus restrictives en Europe. L’IVG n’est autorisée qu’en cas de viol ou d’inceste, de danger pour la vie de la femme enceinte, ou de malformation grave du fœtus. 

Le projet actuel de loi intitulé « Stoppons l’avortement » (« Zatrzymaj aborcję ») vise non seulement l’interdiction de l’IVG en cas d’endommagement de l’embryon (95% des avortements légaux sont effectués en Pologne pour cette raison), mais aussi la suppression de l’accès aux examens prénataux, mettant ainsi en danger la santé de certaines femmes et instaurant un climat d’angoisse pour toutes les femmes enceintes.

En cette période de campagne électorale, le président sortant Andrzej Duda a fait part de son intention de signer la loi si elle est votée. « Je suis fermement opposé à l’avortement eugénique et j’estime que tuer des enfants handicapés est tout simplement un meurtre », a-t-il déclaré devant les médias catholiques. 

Pour un débat européen

Si elle vient à être votée, cette loi compromettrait les avancées médicales dont la Pologne bénéficie au même titre que les autres pays européens. Deuxièmement, elle reviendrait dans la pratique à exercer une violence institutionnelle sur les femmes touchées par une grossesse à risques et à les priver d’un droit fondamental, celui de décider pour elles-mêmes. 

De récents sondages ont montré que les Polonais s’opposent au durcissement de la loi anti-avortement. 

L’Association de défense de la démocratie en Pologne (ADDP) dénonce cette initiative des milieux fondamentalistes, très écoutés par le gouvernement et par le président sortant. 

Ces lois sont pour nous inacceptables et antidémocratiques, elles doivent être contestées sur le plan européen.

Les auteures :

  • Marika Bekier est étudiante à l’Université Paris-Dauphine, membre de l’ADDP, 
  • Agnieszka Grudzinska est professeure de lettres à Sorbonne Université, présidente d’honneur de l’ADDP, 
  • Joanna Lasserre est architecte urbaniste, présidente de l’ADDP, 
  • Anna Saignes est enseignante-chercheuse, membre de l’ADDP, 
  • Agnieszka Zuk est enseignante et traductrice littéraire, membre de l’ADDP.

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