Retour sur les élections régionales de février et mars en Inde avec l’analyse de Philippe Humbert : la victoire écrasante du Bharatiya Janata Party (BJP), notamment dans un État clé, l’Uttar Pradesh, révèle l’assise nationale et locale du parti du Premier ministre Narendra Modi au pouvoir depuis 2014.
L’analyse de la situation politique et économique faite en juin 2016, soit deux ans après les élections générales de mai 2014, reste globalement pertinente. Les éléments d’actualité à retenir sont essentiellement liés aux résultats des élections d’État qui ont eu lieu en février et mars 2017 dans plusieurs États de l’Inde pour la désignation des membres des Assemblées de ces États (28 États au total en Inde).
L’enjeu de ces tests électoraux était de savoir si le Bharatiya Janata Party (BJP) au pouvoir avec le Premier ministre Narendra Modi allait conserver la dynamique victorieuse de 2014. La réponse est positive.
Le succès massif, d’une ampleur inattendue, du BJP dans l’État de l’Uttar Pradesh (UP) de plus de 200 millions d’habitants, matrice de la politique indienne au cœur de l’Hindi belt, en est l’illustration la plus éclatante.
Avec 39,7% des voix, contre 22,2% pour l’opposant Bahujan Samaj Party (BSP) et 21,8% pour le parti sortant Samajwadi Party (SP), le BJP conquiert, à la faveur d’une bonne répartition des voix, une majorité écrasante à l’Assemblée de l’Uttar Pradesh. Le BJP gagne aussi la majorité des sièges à Goa et à Manipur. En revanche, le Congrès, parti présidé par Sonia Gandhi, gagne au Punjab et déloge le BJP. Mais ce succès ne compense pas les défaites subies ailleurs notamment dans l’Uttar Pradesh.
Si le BJP consolide sa domination sur la politique intérieure indienne, le Congrès, qui ne détient plus que 6 États sur 28, dont seulement un grand État, le Karnataka (Bangalore), est, quant à lui, en voie d’être marginalisé tandis que les partis régionaux, divisés, ne disposent pas d’une assise nationale qui leur permettrait de constituer une alternative.
Le BJP se rapproche, par conséquent, du moment où il aura également la majorité au Sénat, la Chambre haute, émanation des Assemblées des États.
Le BJP de Narendra Modi est confiant dans la possibilité de gagner un nouveau mandat de cinq ans aux élections générales de 2019, en s’appuyant sur les mots d’ordre de 2014 : développement et bonne gouvernance, c’est-à-dire anti-corruption, thèmes porteurs pour les jeunes électeurs (les millennials) de toute condition, les classes moyennes et les milieux d’affaires.
En arrière plan, l’idéologie hindouiste (« hindutva ») et les sous-bassements religieux du BJP, encouragés et légitimés par les succès électoraux, sont de plus en plus prégnants dans la société civile indienne, au détriment des minorités musulmanes (190 millions) et chrétiennes (8 millions).
Cette domination culturelle ne se traduit pas encore dans des dispositions constitutionnelles, mais par de multiples intimidations, violences, humiliations, qui sont dénoncées avec retard et mollesse par les hauts responsables du BJP.
La désignation récente du Chief minister de l’Uttar Pradesh, Yogi Adityanath, un leader religieux militant depuis quarante ans dans les milieux hindtuva, est un symbole fort et une source d’inquiétudes pour la paix civile dans cet État et au-delà. De même, le fait qu’un seul ministre du gouvernement de l’Uttar Pradesh soit un musulman (18% de la population est musulmane dans cet État) illustre les mécanismes de cette discrimination à l’œuvre.
Lénine avait dit « le communisme, c’est les soviets et l’électricité » ; en Inde, « l’hindouisme, c’est le BJP et l’électricité ».