Dix ans après le « non » : crever l’abcès, pour l’Union européenne et pour la gauche

Dix ans après l’échec du référendum sur le Traité constitutionnel européen, Yves Bertoncini revient sur les fractures qu’il a cristallisées, notamment au sein de la gauche française – une analyse nécessaire pour s’engager pleinement dans les débats européens d’aujourd’hui.

Le 29 mai 2005, les électeurs français disent majoritairement « non » au Traité constitutionnel européen. Ce rejet semble révéler une défiance envers la construction européenne, mais aussi un profond malaise au sein de la gauche, très divisée sur la question. Dix ans après le référendum, que reste-t-il de ce « non » ?

Pour le savoir, il faut revenir sur l’analyse du vote de 2005, qui invitait les Français à se prononcer sur une « Constitution européenne » dans un contexte national difficile d’un point de vue économique et politique.

Les « nonistes » de 2005 ne sont pas d’abord eurosceptiques : leur choix a principalement été orienté par des considérations nationales, comme l’affirment 52 % d’entre eux. 4 % seulement se sont intéressés à la place de l’Europe dans le monde, déterminante pour ceux qui ont voté oui.

Il faut aussi rappeler la grande diversité partisane des « nonistes », qui s’étendent de l’extrême gauche à l’extrême droite. La victoire du « non » n’est pas une victoire de la gauche, puisqu’elle n’aurait pas été possible sans des votes massifs d’extrême droite, et dans une moindre mesure, de droite. Mais les sympathisants de gauche se sont majoritairement opposés au Traité, en grande partie parce qu’ils jugeaient l’Union européenne (UE) trop libérale.

En 2008, le Traité de Lisbonne est adopté. Beaucoup dénoncent alors une « victoire volée » à la gauche et un déni de démocratie. Il est pourtant erroné de considérer que le Traité de Lisbonne est identique au Traité constitutionnel rejeté en 2005. Le Traité de Lisbonne ne reprend pas les dispositions déjà en vigueur et fait près de 200 pages de moins. Ses rédacteurs ont pris en compte certaines revendications des électeurs du « non », surtout souverainistes, mais aussi sociales et environnementales. Beaucoup de nouvelles dispositions demeurent, mais elles n’avaient pas été critiquées par les « nonistes », comme par exemple les 50 articles renforçant les pouvoirs du Parlement européen. Enfin, si elle ne répond pas à l’idéal de la démocratie participative, la ratification parlementaire est bien un processus démocratique, retenu par la quasi-totalité des Etats membres. Il est d’autant plus réducteur de parler de « régression démocratique » qu’il fallait en outre aboutir à un compromis entre 25 Etats-nations tout aussi légitimes.

L’évolution du contexte politique depuis dix ans a-t-elle répondu aux aspirations des opposants au Traité constitutionnel, notamment de gauche ? Certainement pas sur le plan national, puisque la situation économique et sociale française n’est pas meilleure qu’en 2005. Pas vraiment non plus au niveau européen, puisque les orientations libérales de l’UE se confirment et que, si le « non » a durablement contrarié l’adhésion de la Turquie, il n’a pas fait obstacle à trois nouveaux « élargissements ». La gestion de la crise de l’euro a suscité de très vifs débats en France et en Europe, tandis que l’émergence de nouveaux défis extérieurs a eu un impact sans doute plus favorable pour l’UE, dès lors que « l’union fait la force » et que la France peut jouer pleinement son rôle.

Au total, l’ampleur des défis européens et internationaux de l’an 2015 appelle à ne plus ressasser sans fin la fracture de 2005 pour s’engager pleinement dans les débats sur la construction européenne, en France et dans toute l’UE.

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