De quoi la dictée est-elle le nom ?

L’annonce d’une dictée quotidienne par le ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer lors d’une conférence de presse le 5 décembre 2017 peut résonner, aux oreilles de certains, comme un retour aux vieilles antiennes et aux vieilles lunes pédagogiques. Mais de quoi la dictée est-elle le nom ? État des lieux par Iannis Roder, directeur de l’Observatoire de l’éducation de la Fondation Jean-Jaurès.

Ce qui a poussé le ministre à cette annonce relève d’abord d’un constat, celui qui découle naturellement des résultats de l’enquête internationale PIRLS (Progress in International Reading Literacy Study) pilotée par l’IEA (International Association for the Evaluation of Educational Achievement) qui mesure le niveau en compréhension de l’écrit des élèves de CM1. Ceux-ci sont non seulement inquiétants, mais, plus grave encore, ils révèlent une baisse de niveau des élèves français par rapport à la dernière étude de 2011. De plus, quand la France voit son score baisser de 14 points – à 511 points – par rapport à 2001, celui des vingt-quatre pays européens qui ont participé à PIRLS a progressé de 6 points. Aujourd’hui, les élèves français sont nettement distancés par rapport à la moyenne des pays de l’OCDE (541 points) et à la moyenne des pays de l’UE (540).

Cette baisse de niveau se constate dans tous les déciles de lecteurs puisque les élèves français qui parvenaient à atteindre un niveau avancé est passé de 7% en 2001 à 4% en 2017, soit trois fois moins que les autres pays européens. Enfin, la baisse s’accélère depuis 2011 puisque de 5 points perdus entre 2001 et 2011, nous sommes passés à 9 points depuis cette date jusqu’à 2016.

Or, depuis des années, des enseignants font état des déficiences de lecture, du manque criant de vocabulaire, des difficultés d’abstraction des élèves, notamment au collège mais aussi au lycée voire à l’université où des cours de remise à niveau sont aujourd’hui mis en place face à la réalité du niveau d’expression et d’orthographe des étudiants. De fait, lire un texte est toujours un effort cognitif important à 15 ans pour un nombre conséquent d’élèves et leur situation n’évolue plus guère ensuite. Ces enseignants ont alerté sur ce problème depuis une quinzaine d’années maintenant et les discours, notamment politiques, ont mis en avant la nécessité de faire porter les efforts sur les « lire, écrire, compter », sans que cela porte visiblement ses fruits. Il n’est ainsi pas surprenant que le ministre se saisisse des résultats de l’enquête PIRLS pour avancer des idées dont il avait déjà fait état face à une réalité qu’il semble apprécier dans ses justes dimensions.

Il convient de fait d’interroger les méthodes mises en place, les manuels utilisés et la formation des enseignants car le constat est sans appel : les automatismes de langue ne sont pas assez développés chez les élèves (décodage, orthographe, règles de grammaire et de conjugaison). Le volume de mots maîtrisés est bien trop faible et un nombre impressionnant d’élèves ne fait aujourd’hui pas la différence, à 14 ou 15 ans, entre « et » et « est », entre le participe « été » et l’imparfait « était » par exemple. D’autre part, nombre d’élèves souffrent de l’incapacité à s’approprier et à accéder au sens implicite d’un texte long : les textes simples doivent souvent être relus par le professeur après lecture par un élève car ni le ton, ni la ponctuation ne sont utilisés par des élèves mauvais lecteurs tout comme il n’est pas rare qu’ils buttent sur des mots, rendant la lecture à voix haute laborieuse et finalement incompréhensible pour le reste de la classe. De même, il est alors très compliqué de faire réfléchir les élèves sur les événements historiques tant l’appréhension des documents est ardue et le maniement des concepts difficile. Il est ainsi très courant de lire, dans les copies d’élèves, que « Staline fait des propagandes » pour parler d’affiches car les élèves ne parviennent pas à comprendre la notion de « propagande » qu’ils ont la nécessité de rendre concrète en la transformant en un objet pour la rendre compréhensible. Une affiche devient « une propagande », un film devient « une propagande », le tout étant « des propagandes ».

Or, il est évidemment essentiel aujourd’hui, face aux flux continus d’informations, que les élèves soient capables de comprendre, trier, classer, hiérarchiser. Nous semblons nous étonner du développement des théories complotistes les plus farfelues comme de la crédulité d’un nombre croissant de jeunes gens. Mais ne rien saisir de la marche du monde, parce que les capacités de lecture, d’analyse et de compréhension sont très faibles, pousse à se réfugier dans des lectures rassurantes, voire dans une pensée magique qui aide à vivre car elle offre du sens.

Cette question est d’autant plus importante que l’enquête PIRLS nous permet de confirmer une nouvelle fois ce que tout le monde sait déjà, à savoir que les élèves les plus fragiles socialement sont particulièrement exposés aux difficultés de lecture. La question de l’accès à la lecture est donc, au-delà de la scolarité et de la réussite personnelle et professionnelle, une question sociale et éminemment politique. Former des citoyens avertis, capables de comprendre les grandes questions, mais aussi investis et conscients des enjeux est un devoir fondamental de l’école. Permettre aux élèves des classes les plus défavorisées de s’élever socialement grâce à l’école est un impératif démocratique. Preuve est de constater qu’il nous faut remettre l’ouvrage sur le métier tant l’école échoue de plus en plus à apporter une réponse à ces deux questions fondamentales si importantes dans l’optique de la construction d’une société apaisée capable de répondre aux aspirations de ses citoyens. 

Le ministère, par l’intermédiaire du ministre lui-même, semble avoir pris la mesure de la gravité de la situation et mis en marche une politique volontariste basée sur la réalité du terrain et des résultats aujourd’hui obtenus. Le dédoublement des classes de CP en REP+ dès cette année est ainsi appelé à être généralisé en REP dès 2018 et en CE1 REP et REP+ en 2019. Dégager des moyens pour cette mesure repose sur l’idée que des économies seront faites grâce à une meilleure maîtrise des fondamentaux par des générations d’écoliers mieux armés et donc moins décrocheurs et moins lourds pour les politiques d’aides et de soutien à la formation et à l’emploi.

La maternelle est appelée à devenir « l’école du langage » en permettant un travail régulier sur le vocabulaire, l’écoute et la compréhension de textes lus par l’adulte selon le principe que l’accès à la lecture est favorisé par l’acquisition du langage oral le plus large possible. La formation des enseignants, notamment sur l’apprentissage de la lecture, est une dimension importante et nécessaire de cette politique – 9 heures sur les 18 heures de formation annuelle devant être consacrées à cette priorité.

Les élèves qui n’ont pu bénéficier de ces nouvelles dispositions, en école élémentaire et au collège, obtiendront des heures dédiées spécifiquement à la lecture et à la compréhension de l’écrit : 1 heure hebdomadaire d’activités pédagogiques complémentaires (APC) à l’école élémentaire, 2 heures d’accompagnement personnalisé (AP) en collège.

Enfin, un contrat de réussite destiné à prévenir le redoublement sera mis en place, devant permettre d’identifier les élèves et leurs difficultés afin de mettre en place des mesures d’accompagnement. Le redoublement qui sera proposé si les mesures n’ont pas permis de porter leurs fruits repose sur l’idée que l’année refaite ne sera pas identique, l’élève faisant l’objet d’un accompagnement ciblé.

Les mesures annoncées demandent néanmoins une adaptation du terrain. Dans les classes, la dictée quotidienne devra s’inscrire dans une progression réfléchie et établie en amont afin que cet exercice prenne tout son sens et gagne en efficacité. La question du temps qui y sera consacré devrait obliger les enseignants à adapter la progression en emplois du temps hebdomadaires. Les méthodes d’apprentissage de la lecture utilisées en classe devront être questionnées par les professeurs en tenant compte des études réalisées en se dégageant de tout parti pris idéologique.

Les blocages que rencontrent certains élèves face aux apprentissages ne sauraient être résolus à l’école mais par des spécialistes dont il n’est, pour l’instant, nullement question. Les mesures d’accompagnement demanderont nécessairement des moyens, aussi bien dans le premier degré qu’au collège. Quels personnels ? Quelles qualifications ? À terme, il semble nécessaire de mettre en place des formations à destination des enseignants appelés à prendre en compte, puis peut-être en charge, les difficultés des élèves.

La volonté louable de mettre en place une personnalisation des parcours d’élèves demande une évolution des habitudes et des pratiques mais aussi, nécessairement, des tâches, voire des services des enseignants afin de rendre effective et efficace la volonté affichée. Or, pour mener à bien la politique annoncée, le ministre aura besoin des enseignants.

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