Alors que s’ouvre le Salon des maires, Olivia Fortin, Tarik Ghezali et Guillaume Hermitte formulent pour la Fondation des propositions pour réhabiliter le pouvoir des maires, en leur donnant les moyens d’assumer une véritable politique de fraternité nationale, dans un nouveau rapport, intitulé Fraternité nationale : penser une politique nationale pour rendre aux maires leur pouvoir de fraternité. Claudie Méjean, maire de Bram, livre son point de vue.
Lois et règlements s’appliquent à défendre et à mettre en œuvre les valeurs républicaines de liberté et, plus récemment, d’égalité. C’est un combat juste qui fait la force de notre modèle républicain et que nous devons inlassablement défendre. Pourtant, étonnement, ce combat écarte le troisième pilier de la devise de la République, la fraternité, considérée comme une douce utopie, un idéal qui par son abstraction ne mériterait pas que l’on s’attache à légiférer pour lui conférer l’importance qu’elle mérite dans le progrès de nos sociétés humaines.
La fraternité n’est pas qu’un mot gravé sur le fronton de nos mairies. C’est une valeur que nous incarnons en tant qu’élu local dans nos actions et nos interactions. Administrateur, assistant social, développeur économique, policier, animateur festif ou sportif, gestionnaire de crises… : le maire multi-tâches se découvre de nouvelles missions tous les jours.
En réalité, toutes sont reliées entre elles par le service à nos concitoyens et par l’intérêt général, par la volonté de vivre ensemble dans une société apaisée et apaisante. Femmes et hommes engagés à améliorer le quotidien de tous et déterminés à porter avec fierté les valeurs de la République, nous vivons dans notre mandat d’immenses séquences de bonheur collectif comme nous sommes aussi confrontés à de pénibles moments d’impuissance et de solitude.
Le maire ouvre son bureau à ceux qui cherchent des solutions pour rendre plus agréable la vie de tous les jours. Il sillonne sa commune à la rencontre de ses administrés, des associations, des clubs, des entreprises et de leurs salariés. Sur tous les terrains, il recueille les doléances, il écoute les propositions, il met en œuvre les projets. Mais il est aussi le réceptacle du désarroi, des colères, des drames dans une société minée par des crispations multiples. Comme l’écrivait François Mitterrand, « la France a eu besoin d’un pouvoir fort et centralisé pour se faire, elle a à présent besoin d’un pouvoir décentralisé pour ne pas se défaire1François Mitterrand, Conseil des ministres, 15 juillet 1981. ».
Nous, élus locaux, n’avons pas le droit de verser dans le défaitisme face aux tentations du repli individualiste ou communautaire, ces poisons pour le vivre-ensemble et la démocratie. Qui est mieux placé que le maire pour établir le lien social, les solidarités de voisinage, créer les lieux d’échange ? L’espace public doit redevenir une agora, ce lieu de dialogue où les citoyens se rencontrent, échangent, fraternisent sans distinction d’origine, de race, de classe sociale.
Laisser le monopole du débat public aux chaînes d’information en continu et enfermer le débat d’idées dans le seul espace de réseaux sociaux gangrénés par les fake news et avilis de commentaires haineux serait un renoncement intolérable et dangereux. Ce serait même un reniement de notre belle devise « liberté, égalité, fraternité ».
Dans nos communes, nous imaginons et expérimentons en proximité des temps et des espaces pour donner envie de fraternité, pour lui donner corps et sens.
Apéritifs de quartier, fêtes des associations, fêtes républicaines constituent – aux côtés des opérations de lien intergénérationnel, de solidarité, de participation citoyenne ou d’accès à l’égalité des chances – les outils pratiques et quotidiens qu’avec mon équipe je déploie dans ma commune de 3300 habitants pour construire du vivre-ensemble. Lorsque nous nous retrouvons à 1800 autour d’un cassoulet pour « Les rencontres de la gauche », que l’on soit ancien président de la République, présidente de région, militant ou encore bénévole associatif, nous faisons société, nous partageons bien plus qu’un simple repas, nous pensons ensemble l’avenir.
In fine, ce vivre-ensemble qui fait tant horreur à celles et ceux qui prônent l’individualisme, le rejet et le repli sur soi est l’application concrète de cet idéal de fraternité dans notre quotidien d’élu local.
Pour autant, le vivre-ensemble n’est pas un état de fait, mais un processus continu qui nécessite une volonté et des moyens pour être défendu, maintenu et développé. C’est un engagement de tous les instants, qui demande l’implication de chacun pour faire de la fraternité une réalité vécue et partagée par tous.
Nous devons aller plus loin dans ces initiatives fraternelles, nous devons obtenir de l’État la garantie de disposer des moyens législatifs, financiers et humains pour répondre aux demandes qui s’expriment. Rien ne serait pire que de décevoir, de partager les idées, les constats, de répondre positivement mais de se retrouver dans l’incapacité d’agir faute de moyens humains et/ou financiers.
La fraternité, c’est un partage d’idées, de destins communs, de valeurs républicaines. C’est aussi un partage de solidarités. Nous, élus locaux, entretenons cette proximité qui crée ces partages, ces solidarités, qui ouvre des champs de liberté et permet de faire société. Face aux fractures de notre pays, la fraternité est la bonne réponse.
- 1François Mitterrand, Conseil des ministres, 15 juillet 1981.