Le premier budget participatif de la ville de Brest verra le jour au cours de l’année 2018. Comme pour de nombreuses villes qui ont déjà mis en place ce dispositif, il apparaît comme une façon simple et concrète de permettre une participation plus large et plus agile des habitants. Il n’est cependant pas une fin en soi et pose plusieurs enjeux concernant le fonctionnement des collectivités que Thierry Fayret, vice-président PS de Brest Métropole, expose ici pour l’Observatoire de l’expérimentation et de l’innovation locales de la Fondation.
Qu’est-ce qu’un budget participatif ?
Il s’agit d’un processus comprenant la proposition, la sélection puis le vote de projets par les habitants, dans le cadre d’une enveloppe financière mise à disposition par les élus dans le budget des collectivités. Il s’agit de projets entrant dans le cadre des investissements de la collectivité afin de bien fixer la dépense dans le temps. Les élus établissent les règles du processus, mais ce sont les habitants qui décident ensuite du reste. Une fois la sélection finalisée, la collectivité reprend la main et réalise les projets sur son budget d’investissement.
Un budget participatif à Brest : pourquoi et pour qui ?
La participation des habitants est une volonté politique ancienne portée par la ville de Brest. Il existe dans cette ville une véritable culture de la participation. En témoignent le travail des élus avec les sept conseils consultatifs de quartier (CCQ), ou les projets pour lesquels les citoyens sont appelés à se prononcer par les dispositifs de consultation. Pourquoi alors instaurer en plus un budget participatif ?
La participation des habitants est fortement liée au format de participation proposé, mais aussi à la façon dont les sujets sont amenés par les élus. Le format des CCQ, qui existe à Brest depuis quinze ans, permet un travail partagé sur un vaste choix de projets, sur la durée et sur un secteur donné. Il permet aussi une bonne appropriation des politiques publiques par les participants. Du fait de l’intensité de l’engagement sur la durée, les conseils consultatifs mobilisent plutôt des habitants autonomes et qui disposent de temps. À l’inverse, la participation sur des projets ponctuels pour lesquels les élus sollicitent des habitants se déroule souvent dans un cadre contraint, à la fois en termes de temps, d’espace et de thématiques abordées. Le profil des participants peut s’élargir, mais l’espace de débat et de mobilité des projets est moindre.
Le budget participatif offre une complémentarité avec les modes de participation existants. Nécessitant dans un premier temps un engagement a minima – le dépôt d’une idée, d’un projet –, la participation ne demande pas d’investissement initial lourd et s’accomplit très facilement. Par ailleurs, elle peut être élargie à tous les habitants, sans condition d’âge ou de nationalité (c’est le cas à Brest), donnant ainsi à la démarche une dimension inclusive forte. Par sa simplicité d’accès, le budget participatif s’adresse donc dès le départ à une population bien plus large que les autres formes de participation.
La force du budget participatif est ensuite de s’inscrire sur la durée, au travers de phases de sélection qui conduiront les porteurs de projets à se mobiliser pour travailler et faire connaître leur projet. Cette phase est intéressante à double titre. D’une part, elle demande aux porteurs d’élaborer un projet d’intérêt général. D’autre part, ce seront eux qui expliqueront l’intérêt de leur projet aux habitants, hors de toute interaction avec les élus ou la collectivité. Les démarches de budget participatif ont ainsi une dimension pédagogique sur le territoire de la ville. Elles ont aussi une dimension ludique, dans un jeu entre projets qui mobilise autant la créativité des porteurs que des coopérations et de l’intelligence collective pour fédérer et donner envie autour de leur idée.
Si la réalisation des projets sélectionnés est le moteur de la participation, l’ensemble du processus doit être pensé au regard des objectifs de participation, d’interaction entre les habitants et de meilleure compréhension par ceux-ci du fonctionnement d’une collectivité et des politiques publiques qu’elle porte.
Un budget participatif à l’image de la construction budgétaire
Le budget prévisionnel de la collectivité (budget primitif) est voté en début d’année. Il est la résultante d’un important travail de préparation qui commence dès la fin du printemps. Au mois de juin, un cadre financier est fixé pour l’année suivante, qui prend en compte les perspectives et les contraintes budgétaires à venir. Sur cette base, les élus et les services travaillent sur les projets à intégrer dans la maquette budgétaire. Une consolidation est effectuée à l’automne, afin d’avoir une vision globale de l’ensemble des demandes adressées. En fonction des contraintes budgétaires, des discussions entre élus sont engagées pour arbitrer les projets, de façon à aboutir à la copie finale. Cette dernière est votée en conseil en début d’année suivante, pour une réalisation à venir.
Bien que les montants et les acteurs diffèrent, le processus du budget participatif choisi pour Brest s’apparente fortement au déroulé de la construction budgétaire. Il s’inspire des règlements des budgets participatifs de Grenoble et de Lanester, ainsi que des retours d’expérience de la ville de Rennes avec qui nous avons échangé. L’appel à projets auprès des habitants aura lieu de la mi-juin à la fin septembre. C’est le temps nécessaire pour qu’ils fassent émerger leurs projets et pour rendre ceux-ci visibles sur le site consacré au budget participatif. C’est aussi le temps nécessaire pour que des groupes d’habitants puissent travailler ensemble à des projets collectifs. La facilité ayant été privilégiée pour le dépôt des idées, un nombre important de projets est attendu. À partir du mois d’octobre, sur la plateforme prévue à cet effet, une phase de présélection permettra aux habitants de désigner de façon très simple les projets qui ont leur préférence. Début novembre, les trente à cinquante projets premiers projets choisis par les habitants seront instruits avec l’aide des services de la collectivité, en étudiant leur faisabilité et leur coût. Les porteurs seront amenés à affiner leur projet au regard des règles que doit respecter toute réalisation publique. Ils devront également en faire la promotion en vue du vote final. Fin janvier, une semaine sera consacrée à la présentation des projets et au vote final des Brestoises et des Brestois.
Le déroulé, qui intègre une phase de divergence créative (proposer le plus d’idées possibles), puis une phase de convergence (resserrer les propositions en rassemblant les projets de manière complémentaire) dans un cadre budgétaire contraint, associant des phases de débats et d’arbitrage, est fonctionnellement identique à ce que vivent les élus de toute municipalité dans la construction de leur budget. À cet égard, c’est un bon apprentissage des réalités de l’action et de la décision publiques.
Un budget participatif à l’interface entre les habitants et les services de la ville et de la Métropole
Le fonctionnement classique d’une collectivité est de placer une équipe d’élus à l’interface des demandes des habitants et de la capacité à réaliser des services. Ces élus se forgent leur propre analyse et arbitrent entre les dossiers. Il s’agit de prioriser les demandes, mais aussi de prendre en considération l’organisation interne de la collectivité (et donc sa performance).
Le principe d’un budget participatif est de créer une sorte de court-circuit entre les projets choisis par les habitants et les services qui les mettent en œuvre. Il ne faut pas que cette façon de procéder représente une perte d’efficacité globale ou même constitue un frein pour d’autres projets qui seraient tout aussi nécessaires. Les retours d’expérience d’autres collectivités montrent qu’il s’agit d’un point de vigilance important dans la mise en place du processus.
Comme dans le cas d’autres villes, le choix de Brest a été de prévoir une étape de présélection des projets. L’idée est d’éviter de solliciter les services pour l’instruction de trop nombreux dossiers avant le vote final. En outre, l’enveloppe financière a été limitée à 3 % du budget d’investissement de la ville. Elle pourra ainsi s’intégrer sans trop de difficulté dans l’organisation planifiée des travaux gérés par les services. Ces contraintes peuvent sembler restreindre le nombre de projets susceptibles d’être réalisés. Cependant, il ne faut pas oublier qu’un budget participatif n’est pas une initiative fermée. Il s’inscrit dans la globalité du fonctionnement des politiques publiques de la collectivité. Ainsi, l’émergence d’idées et de projets, même si ces derniers ne sont pas sélectionnés lors des votes, sera une phase riche d’enseignements sur les attentes des habitants et le champ des possibles sur la ville. Le budget participatif n’est heureusement pas le seul espace d’expression des habitants et rien n’empêche les CCQ ou les élus de reprendre les bonnes idées qui auront émergé.
Un budget participatif dans le mille-feuille des compétences territoriales
Une complexité du budget participatif à Brest tient à la singularité historique de la ville, qui a très tôt intégré un grand nombre de ses compétences avec la métropole de Brest (auparavant communauté urbaine). Cette articulation des niveaux de compétences entre les communes et leurs établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) garantit une mise en œuvre des politiques publiques efficace, entre maintien d’une taille critique de compétences et nécessaire proximité. Il n’en demeure pas moins qu’elle est d’une lecture difficile pour les citoyens, dans un service public perçu comme global. Les élus ont souhaité que les habitants n’aient pas à se poser la question des compétences des deux échelons du bloc communal. Qu’une idée entre dans les compétences portées par la ville ou par la métropole ne devait pas faire de différence à leurs yeux. A nous de faire en sorte que les projets votés par les habitants puissent être réalisés.
Il est donc proposé d’allouer deux enveloppes d’investissement en 2019 pour réaliser les projets choisis par les habitants, même s’ils sont mis en œuvre sur un seul et même territoire communal. La première ressortira classiquement du budget d’investissement de la ville ; la seconde, du budget d’investissement de la métropole, afin de répondre à des projets d’initiative citoyenne sur les compétences de l’EPCI.
Création d’un conseil de suivi du budget participatif
Un dernier point de vigilance est de répondre à la défiance toujours présente lors de la mise en place de nouveaux projets participatifs. Si les citoyens affirment souvent souhaiter davantage de participation, leur première réaction est parfois critique, avec la crainte sous-jacente d’une participation de façade et l’idée que tout a déjà été décidé avant ou ailleurs. Il est donc important d’intégrer des citoyens dans le suivi du budget participatif dès le départ : en apportant une expertise par leur vécu de la ville, mais aussi pour qu’ils soient les témoins, les garants du bon déroulement du processus. Leur regard final sur l’évaluation du budget participatif est également intéressant : il permettra de faire remonter des regards d’habitants, plus extérieurs aux fonctionnements des deux collectivités. Pour Brest, il a donc été décidé de créer un conseil de suivi du budget participatif. Il s’agit d’un groupe paritaire constitué de neuf élus de la ville et de neuf habitants ayant souhaité participer à ce suivi.
Un budget participatif pour tous ?
Les critiques reprochent parfois aux budgets participatifs de ne s’adresser qu’aux publics les plus autonomes et de ne pas concerner les plus en difficulté ou les plus isolés. Or, ces derniers sont ceux qui concrètement ont le plus besoin des politiques publiques. Même si l’on ne peut généraliser, cette critique est probablement fondée. Il faut avoir de la disponibilité et une capacité à mobiliser pour participer et arriver en tête des porteurs de projets. Mais elle doit être relativisée pour au moins trois raisons.
La première est qu’aucune consultation n’engage l’ensemble de la population – et c’est bien là le drame aujourd’hui concernant les élections. Tout ce qui favorise la participation des citoyens et une meilleure compréhension (et appréciation) des politiques publiques a du sens, même si c’est imparfait. La diversité des formats et des approches permettra de réduire l’écart, mais on ne peut espérer d’une seule initiative qu’elle réponde à tout. La deuxième raison est que le montant alloué reste faible. Il s’agit de 3 % de l’investissement mais, ramené au budget global, cela correspond à 0,3 % du budget annuel de la ville. Les politiques publiques ont donc bien d’autres manières de traiter les inégalités ou les solidarités. Enfin, si le budget participatif ne résout pas l’éloignement de certains publics isolés de la vie publique, il peut inciter des porteurs de projets collectifs à aller rechercher des personnes moins autonomes afin de les aider à soutenir ou enrichir leur projet. Un budget participatif crée de l’envie et peut faciliter la création de liens. L’exemple d’enfants gagnant des projets pour améliorer les espaces de circulation devant leur école est de ce point de vue encourageant en ce qu’il montre la capacité des groupes à se structurer, pour peu qu’ils partagent un objectif commun.
Les budgets participatifs ne seront jamais le graal d’une participation qui opérerait un transfert de responsabilité dans la décision entre les citoyens et la collectivité. Ils recèlent à l’évidence certaines limites. Ils restent cependant un outil très intéressant, alliant bon nombre de vertus, qui restent à explorer avec les citoyens.