La crise sanitaire liée à la Covid-19 a aggravé la fracture Nord-Sud et la réponse des pays riches n’est pas la hauteur des enjeux, comme le souligne Marisol Touraine, présidente d’Unitaid, dans cette note en partenariat avec la Fondation européenne d’études progressistes (FEPS). Elle en appelle à une meilleure coordination et à la mise en place d’une gouvernance politique repensée de la santé mondiale avec des financements conséquents pour faire face aux menaces sanitaires de demain.
La pandémie de Covid-19 a aggravé la fracture Nord-Sud. Ce sont toujours les pays les plus pauvres, les populations les plus pauvres qui paient le plus lourd tribut. La réponse des pays riches n’est pas à la hauteur des enjeux : donner des doses de vaccins ne suffit pas, un changement radical s’impose !
La Covid-19 a montré à quel point une crise peut affecter et menacer les vies et les économies de toute la planète. Au Sud, les économies se sont effondrées et le Fonds monétaire international appelait encore récemment à y remédier de toute urgence. Sur le front sanitaire, douze mois de crise auront suffi à menacer cent vingt mois de progrès dans le dépistage de la tuberculose et quinze ans de lutte contre le VIH-Sida et le paludisme. Alors qu’au Nord on commence à administrer la troisième dose de vaccin, seuls 4% des Africains en ont reçu deux : cette réalité est insupportable moralement mais aussi contre-productive si nous voulons maîtriser le virus. Dans un monde globalisé, personne n’est en sécurité si tout le monde ne l’est pas ! Aujourd’hui, il nous faut accélérer et anticiper : c’est en montant en puissance contre la Covid-19 que nous saurons faire face aux menaces de demain.
Après de longues hésitations et la tentation d’un repli national, les pays du Nord se sont mis à multiplier les dons de doses de vaccins aux pays à faible revenu. C’est évidemment nécessaire et doit être salué, mais cela ne suffit pas ! D’une part toutes les doses données n’ont pas été injectées ; d’autre part, c’est une réponse durable qui s’impose face à une pandémie qui ne disparaîtra sans doute pas d’elle-même. Nous devons donc changer la donne radicalement.
D’abord, il faut accompagner les pays dans le renforcement de leurs systèmes de santé. Dépister, vacciner, soigner suppose des centres de soins de proximité structurés, des professionnels formés, des hôpitaux organisés. Chaque projet de santé doit désormais être conçu pour avoir un impact concret sur l’organisation des soins.
Ensuite, les pays riches doivent engager un dialogue exigeant et transparent avec les industriels afin que leurs innovations soient mises au service de tous. La santé est un bien commun, les vaccins et les médicaments doivent être rendus accessibles partout. Cela suppose qu’ils soient fabriqués en quantité suffisante et vendus à un prix accessible.
Unitaid, en créant le Medicine Patent Pool il y a dix ans, a su faire baisser drastiquement le prix des traitements notamment contre le VIH-Sida et la tuberculose, par la négociation avec les entreprises. Un traitement contre le VIH-Sida vendu 10 000 dollars par an en Europe a été négocié pour 70 dollars seulement dans beaucoup de pays africains. Des montants massifs de fonds publics ont permis aux laboratoires de mettre des vaccins sur le marché en un temps record et des traitements sont sur le point d’arriver. Cela donne aux États la possibilité de négocier avec les entreprises des conditions de prix accessibles aux pays pauvres. Cette négociation aurait dû avoir lieu dès le départ, mais il est encore temps de concevoir des mesures temporaires et ciblées de partage volontaire de propriété intellectuelle, de favoriser les transferts de technologie et d’investir massivement dans des plateformes de production dans les pays du Sud. L’innovation a un coût, qui doit être justement rémunéré. Personne ne propose que les entreprises deviennent des organisations philanthropiques, simplement qu’elles s’engagent dans une discussion sincère et transparente sur leurs prix, et acceptent clairement de pratiquer des prix bas pour les pays à faible revenu. À défaut, des options plus contraignantes pourraient être envisagées, car la vaccination doit désormais être accélérée partout.
Seul l’engagement politique des pays les plus riches permettra d’y arriver et le World Health Forum de Berlin, avant le G20 de Rome, doit être l’occasion de porter ce message. Depuis mars 2020, les organisations internationales de santé mondiale sont engagées dans une course contre la montre. Mais sans appui financier, sans volonté politique partagée, elles ne pourront répondre à tous les besoins. Il est temps aujourd’hui que les pays les plus riches se coordonnent et mettent en place une gouvernance politique repensée de la santé mondiale. Ce ne sont pas les solutions techniques qui font défaut, mais bien les financements et l’organisation politique durable de la réponse à la Covid-19 aujourd’hui et aux menaces sanitaires inévitables de demain. Au début des années 2000, des organisations ont été créées pour répondre au défi du VIH-Sida, de la tuberculose et du paludisme : le Fonds mondial et Unitaid. Aujourd’hui, ce ne sont pas de nouvelles institutions qui s’imposent, mais une volonté politique pour un multilatéralisme concret.
L’article est disponible en anglais sur le site de la Fondation européenne d’études progressistes (FEPS) ici.