Alors que le PSOE, comme nombre de partis socialistes et sociaux-démocrates en Europe, connaît une profonde crise existentielle, Jean-Jacques Kourliandsky analyse les orientations politiques et stratégiques décidées par la nouvelle direction du PSOE au cours de son dernier congrès tenu mi-juin 2017.
Pedro Sanchez a été brillamment adoubé secrétaire général par les délégués du 39e congrès du PSOE (Parti socialiste ouvrier espagnol). Les 17 et 18 juin 2017, il a ainsi soldé avec brio la deuxième reprise d’une longue dispute fraternelle entre camarades socialistes. Un petit retour en arrière permet de replacer l’épisode dans son contexte. L’expérience Zapatero, celle d’un président de gouvernement et d’un parti, « socialiste républicain », variante espagnole du « nouveau centre » de Gerhard Schröder et de la « troisième voie » de Tony Blair, a laissé le PSOE en état de choc. Le PSOE a depuis 2011 perdu toutes les consultations législatives. Une partie de ses électeurs l’a abandonné pour rejoindre une nouvelle formation de gauche, Podemos. Les querelles internes ont été, depuis, incessantes. Elles ont opposé les tenants du libéralisme sociétal à ceux qui entendent récupérer le principe d’égalité sociale. Le premier groupe réunit les ex-secrétaires généraux, les anciens présidents de gouvernement et la quasi-totalité des présidents de régions autonomes. Ses couleurs étaient portées, les 17 et 18 juin 2017, par la présidente de la région andalouse, Susana Diaz. Le second, plus diffus, issu des sections territoriales, était incarné par Pedro Sanchez. Au terme de la première reprise, le 1er octobre 2016, Pedro Sanchez, alors secrétaire général, élu par les militants le 13 juillet 2014, avait été brutalement remercié par les « barons » du PSOE. Cette opération a été qualifiée par Josep Borrell, ancien président du Parlement européen, l’un des rares soutiens institutionnels de Pedro Sanchez, d’« Ides d’octobre ». Pedro Sanchez refusait de laisser gouverner Mariano Rajoy et le Parti populaire et défendait la nécessité d’une clarification idéologique, l’acceptation d’un nouvel arbitrage électoral sur cette base, et non la perpétuation institutionnelle des survivants, qu’ils soient députés nationaux et européens, ou présidents de région, au prix de concessions politiques et éthiques jugées suicidaires. Une bataille en légitimité a été alors ouverte entre Pedro Sanchez et la direction intérimaire représentative de l’appareil du parti. Elle passait par l’élection par les militants, le 21 mai 2017, du secrétaire général. Puis, quelques jours plus tard, par l’adoption d’une motion d’orientation collective. Cette deuxième reprise a in fine été gagnée par Pedro Sanchez. Les adhérents du PSOE ont sanctionné l’immobilisme des bénéficiaires de la lutte des places et fait le pari d’un PSOE recentré à gauche et plus exigeant à l’égard des puissances économiques nationales et de Bruxelles.
La victoire de la ligne Sanchez au 39e congrès du PSOE lui a donné un profil de triple rupture : rupture de ligne politique, rupture de fonctionnement collectif et rupture internationale. Cette rupture est la conséquence logique du vote émis par les militants le 21 mai 2017. À 50,3%, ils avaient choisi comme secrétaire général Pedro Sanchez, qui a défendu la nécessité d’un ressourcement social-démocrate du PSOE reposant sur le soutien actif des militants. Son programme et la nouvelle direction ont été approuvés le 18 juin 2017 par 70% des délégués.
Cette réalité largement imprévue a pesé sur les conditions matérielles d’organisation. Le congrès n’a pas été aussi « huilé » que les précédents. Depuis le 1er octobre 2016, le PSOE était en effet géré par une équipe intérimaire, désignée par les membres de la direction ayant évincé du secrétariat général Pedro Sanchez. Cette direction a été prise à contrepied par le vote des adhérents qui le 21 mai 2017, contre toute logique, a confirmé Pedro Sanchez comme secrétaire général. La passation de pouvoir n’a manifestement pas été facile. Le congrès n’a pas commencé à l’heure et les dossiers remis aux invités « fraternels » ne comportaient aucun document de référence. Le suivi des délégations étrangères a été sympathique, mais aléatoire, géré beaucoup plus par la Fondation Pablo Iglesias que par le département international du PSOE. Faute de débats en séance plénière, les travaux se déroulant au sein de commissions, les délégués de partis amis ont été invités à participer à un séminaire de la Fondation Pablo Iglesias consacré à la « lutte contre les inégalités renforçant le lien social-démocrate entre l’Amérique latine et l’Europe ».
La matinée du dimanche, jour de clôture, l’accès à la salle du Palais des congrès de la ville de Madrid, était réservé aux seuls délégués. Les invités, espagnols comme étrangers, ont été redirigés vers le Palais des expositions de Madrid, lieu d’un meeting ouvert. La nouvelle direction, issue de tractations se déroulant dans le Palais des congrès de la ville de Madrid, a été présentée au Palais des expositions. Cette présentation a été suivie d’un discours du secrétaire général, Pedro Sanchez, devant 8000 personnes. Le décor général et l’ambiance comportaient des éléments contradictoires. La musique anglo-saxonne, type supermarché, héritée de précédents congrès était bien présente, mais il y avait aussi l’Internationale. Les cubes blancs et rouges griffés PSOE pour certains et « le poing et la rose » pour d’autres, hérités d’époques antérieures, étaient encore là, épars sur la scène du Palais des congrès de la ville de Madrid. Mais ils étaient de taille modeste, à la différence de ceux décorant la scène des congrès à l’époque de Zapatero, aujourd’hui plutôt rouges que blancs.
Rupture de ligne politique
La ligne affirmée était celle du fil conducteur choisi en toile de fond et reproduit sur les murs du congrès comme sur tous les documents émis : « Nous sommes la gauche ». Le congrès s’est terminé sur une vibrante Internationale reprise par le secrétaire général et les membres de la nouvelle direction.
Le PSOE cuvée Pedro Sanchez, afin de marquer ce nouveau territoire à gauche, a donné exclusivement la parole, durant la première journée du congrès, en plénière, aux représentants de la société civile, associations de défense de l’environnement, associations de défense de la famille, associations féministes, associations culturelles et syndicats. L’UGT (Union générale des travailleurs), bien sûr, le syndicat socialiste, mais pour la première fois à un congrès du PSOE, le secrétaire général des Commissions ouvrières (CCOO, syndicat d’origine communiste) ont été invités à prendre la parole.
Pedro Sanchez a fait passer le message suivant : le PSOE revient à ses fondamentaux sociaux-démocrates. Il défendra la Constitution, agressée par le Parti populaire (PP, droite), et le président du gouvernement, Mariano Rajoy, pour tout ce qui concerne la lutte contre les inégalités, le respect des droits syndicaux et le respect de l’éthique. Le PSOE ambitionne de retrouver la confiance de tous ceux qui ont manifesté leur indignation il y a six ans et travaillera donc en empathie avec les représentants de la société civile et tous les syndicats.
Pedro Sanchez n’a pas fait mention explicitement à Podemos. Il a en revanche signalé sa compréhension à l’égard des anciens électeurs ayant quitté le PSOE, les « indignés ». Il a revendiqué la nécessité d’un vaste front associant le PSOE aux représentants de tous ceux qui ont été les victimes de la politique inégalitaire du PP. À cet effet, il a annoncé non pas un accord entre partis politiques au congrès des députés, mais au coup par coup l’adoption d’initiatives proposant aux autres groupes le démantèlement des lois adoptées par le PP.
Ces points de vue condamnent implicitement l’abstention inconditionnelle apportée par le PSOE le 29 octobre 2016 – vote de l’investiture au Congrès des députés – à Mariano Rajoy, à la décision prise par le PSOE de ne pas empêcher ainsi cette investiture pour éviter de nouvelles élections estimées hautement problématiques pour les socialistes. Pedro Sanchez avait été alors démis de sa responsabilité de secrétaire général par la direction du PSOE en raison de son opposition au vote d’abstention et avait dans la foulée abandonné son siège de député pour ne pas avoir à s’abstenir avec son groupe parlementaire. Il avait donc ainsi préservé la discipline collective et ses convictions personnelles.
Le PSOE de Pedro Sanchez, enfin, propose une ambitieuse révision de la Constitution pour sortir de l’impasse catalane. L’Espagne, selon la ligne adoptée au 39e congrès, doit non seulement se fédéraliser (engagement pris à Grenade le 6 juillet 2013 sous le mandat d’Alfredo Perez Rubalcaba), mais aller au-delà. Elle doit, tout en reconnaissant une souveraineté collective espagnole et tout en condamnant le référendum unilatéral défendu par les autorités de Barcelone, admettre la plurinationalité espagnole. La Catalogne doit donc se voir reconnaître un caractère de nation, prévu dans le statut d’autonomie adopté en 2006 mais annulé après un recours devant le Tribunal constitutionnel saisi par le PP. Ce point programmatique a été combattu frontalement par les « barons » régionaux et plus particulièrement ceux d’Andalousie, des Asturies, d’Aragon et de Castille-La-Manche.
Rupture de fonctionnement
La société « civile », on l’a vu, a été invitée à dialoguer avec les délégués du congrès le 17 juin 2017. Les militants et électeurs, les représentants associatifs et syndicaux, ont été conviés le 18 au meeting de clôture. Le poids des institutionnels historiques du PSOE, qu’ils soient ex-Premiers ministres, secrétaires généraux ou présidents de région, a été relativisé par la prise de parole et le vote des militants. Les délégués ont validé une modification des statuts qui désormais interdisent qu’un secrétaire général puisse être démis par la direction. Le recours au vote des adhérents est depuis le 39e congrès incontournable en cas de conflit. Les institutionnels ont réagi en ordre dispersé. Certains ont accepté leur défaite. Patxi Lopez, ancien président du congrès des députés, a pu ainsi intégrer le secrétariat du parti. Le président de la région Estrémadure, Guillermo Fernandez Vara, a également, après son ralliement, obtenu la présidence du Conseil de politique fédérale, jusque-là occupé par Susana Diaz. Mais la plupart a préféré se retirer sans rien dire. Felipe Gonzalez, qui avait publiquement pris parti contre Pedro Sanchez, a par exemple pris note de sa mort politique. Il n’a pas assisté au congrès. Il a envoyé depuis la Colombie un bref message de soutien au nouveau secrétaire général dont il n’a pas cité le nom. Joaquín Almunia, José Luis Rodríguez Zapatero, Alfredo Pérez Rubalcaba, anciens secrétaires généraux, étaient bien là le premier jour du congrès mais ont néanmoins accédé à la salle par une porte latérale. Seul Pedro Sanchez a pris l’allée centrale, passant donc entre tous les délégués. Les trois ex-secrétaires généraux n’ont pas assisté le dimanche 18 juin au discours programmatique de Pedro Sanchez. Les « barons » territoriaux ont été pratiquement tous exclus de la direction. Susana Diaz a pris acte de sa défaite et a quitté la plénière dans la nuit du 17 juin au 18 pour assister, a-t-elle dit à la presse, au Salon aéronautique du Bourget. Son départ a été suivi de celui de la majorité des délégués andalous, absents donc également le jour du meeting de Pedro Sanchez.
La nouvelle numéro deux du parti, Adriana Lastra, a annoncé au lendemain du congrès que la direction n’entrait pas en guerre contre les « barons » mais qu’il revenait aux militants de dire s’ils souhaitaient ou non une relève. « Après tout », a-t-elle ajouté, « il est plus sain d’avoir une répartition du pouvoir, un président de région n’a pas vocation à être aussi secrétaire du PSOE régional ». Au PSOE, un congrès national est suivi statutairement par des congrès régionaux qui valident ou redéfinissent le pouvoir au sein des fédérations régionales.
Rupture internationale
À l’international, la priorité doit être donnée, selon Pedro Sanchez, à la défense des principes sociaux-démocrates. De façon ostentatoire, le Parti socialiste portugais a été valorisé. Le Premier ministre portugais a envoyé un message enregistré à Santiago du Chili devant la statue de Salvador Allende et a de façon explicite apporté son soutien et adressé ses vœux à Pedro Sanchez. Chaque mention faite au Portugal a été accompagnée d’une longue ovation. Le choix de l’orateur international saluant le congrès, Gianni Pitella (président du groupe S&D au Parlement européen), a signalé un engagement européen, à coloration de gauche et « sudiste ». Son discours a été volontairement prononcé en italien, écartant l’usage codé de l’anglais communautaire. Il a été ovationné pour ce choix et pour avoir exprimé à l’auditoire avec un brio « latin » la nécessité de donner la priorité à la défense des valeurs sociales-démocrates. Pedro Sanchez a insisté sur la nécessité d’un rééquilibrage Nord-Sud de l’Europe. Ceci expliquant cela, le SPD n’était pas représenté. Ce qui est par ailleurs cohérent avec le choix de l’orientation à gauche fait par Pedro Sanchez, le SPD gouvernant en coalition avec la CDU (droite démocrate-chrétienne) d’Angela Merkel.
L’Internationale socialiste (IS) et son secrétaire général ont été nommément cités par Pedro Sanchez dans son discours. « Il n’y a pas d’autre voie de coopération internationale pour les sociaux-démocrates », a-t-il déclaré. Sous réserve de nécessaires ajustements et en réactivant le Comité d’éthique. Pedro Sanchez a par ailleurs signalé qu’il assisterait au prochain congrès de l’IS et qu’il y assumerait une vice-présidence. Ce choix conteste donc l’option coopérative en matière internationale faite par le SPD qui a suspendu sa présence dans l’IS pour créer une structure internationale « maison », siégeant à Berlin, l’Alliance progressiste.
La ratification du traité CETA, l’accord commercial entre le Canada et l’Union européenne, a permis de vérifier dès le 26 juin, soit une semaine après le 39e Congrès, la portée concrète de cette rupture. Pedro Sanchez a en effet demandé aux députés européens du PSOE de suspendre leur vote d’approbation, ce que demandaient les syndicats espagnols UGT (socialiste) et Commissions ouvrières (d’origine communiste). Cette annonce a par ailleurs quelque part déconcerté Podemos. La quasi-totalité de la presse a en revanche trouvé là un angle lui permettant de critiquer un PSOE « populiste », qui serait soumis désormais aux desiderata de Podemos. De façon plus inattendue, Pierre Moscovici, commissaire européen aux Affaires économiques et financières, après avoir rencontré le ministre de l’Économie espagnol, aurait signalé à Pedro Sanchez qu’au-delà des valeurs de la gauche, il y avait aussi celles de l’Europe. Point de vue qu’il aurait également défendu auprès de Susana Diaz, candidate malheureuse de la primaire socialiste du 17 mai dernier contre Pedro Sanchez1El Pais, 23 juin 2017, « Il [Pierre Moscovici] a exprimé sa conviction que les forces de gauche sont élues pour promouvoir des politiques de gauche. Mais aussi que les partis pouvant être amenés à gouverner doivent respecter le « patrimoine commun » constitué par les idées et les projets pro-européens »..
- 1El Pais, 23 juin 2017, « Il [Pierre Moscovici] a exprimé sa conviction que les forces de gauche sont élues pour promouvoir des politiques de gauche. Mais aussi que les partis pouvant être amenés à gouverner doivent respecter le « patrimoine commun » constitué par les idées et les projets pro-européens ».