Dans le monde politique et médiatique, l’évolution de la délinquance juvénile se mesure par la statistique élaborée par les services de police. Philippe Robert nous rappelle comment cette statistique, souvent biaisée, est élaborée pour tenter de comprendre sa signification réelle.
Synthèse :
La statistique élaborée par les services de police pour mesurer l’évolution de la délinquance juvénile est souvent biaisée. Elle est élaborée à partir des plaintes adressées aux services de Police nationale et de Gendarmerie, sous forme de procès verbaux adressés au parquet. Ce comptage est partiel, il exclut la plus grande partie des affaires ; il est aussi double, car compte ce qui est enregistré puis à part ce qui est élucidé, et il dépend donc de la réalisation de deux opérations dont les probabilités sont très variables et dans l’ensemble plutôt rares : la connaissance d’une infraction par la police et son élucidation.
Depuis 1974, la délinquance des mineurs aurait augmenté notamment entre 1992 et 1998. Comment le comprendre ? Nous sommes en présence d’un effet de la politique dite de réponse pénale systématique. Traditionnellement, les parquets – bras armé de l’exécutif au sein de la justice – intervenaient peu en matière d’une délinquance juvénile directement gérée par les juges pour enfants. Les parquets ont été amenés à exiger la rédaction et la transmission de procès-verbaux formels et, dans le même temps, des institutions qui s’étaient montrées traditionnellement capables de gérer leurs cas litigieux – au premier chef les établissements d’enseignement – étaient invitées à les adresser désormais à la police et au parquet.
L’examen des séries policières sur le long terme fait apparaître un second trait caractéristique. Deux catégories qui occupaient une place limitée dans les années 1970 et 1980 vont en prendre de plus en plus : les infractions d’ordre public et les atteintes aux personnes. Pour l’essentiel, la croissance de ces infractions peut se comprendre en analysant les effets de trois politiques bien repérées consistant à mobiliser la ressource pénale pour lutter contre l’immigration irrégulière, contre la distribution et la consommation de produits prohibés, enfin pour sanctionner une politique d’affrontement dur entre police et jeunes des quartiers de relégation. Concernant les atteintes aux personnes, nous avons pu révéler le pire défaut de la statistique policière : elle n’a pas pris les moyens de fonctionner à droit constant ; autrement dit, elle répercute les changements législatifs en les imputant au mouvement de la délinquance. Quand bien même la violence n’aurait nullement augmenté, la statistique policière des agressions physiques aurait crû grâce à ces modifications juridiques.
En fin de compte, la statistique policière est définitivement incapable d’informer sur l’évolution des atteintes aux personnes. Et ce constat s’applique aux mineurs tout autant qu’aux majeurs. Le développement d’enquêtes de délinquance autoreportée et le développement d’enquêtes déclaratives en santé publique devraient être utilisées car elles constituent les instruments de mesure les plus appropriés.