« Le sursis bienveillant » : c’est ainsi que l’on pourrait résumer le regard des Français envers leur nouveau président. Cette apparente stabilité ne doit pas cacher les ressorts inédits de cette élection, relevés par les paroles spontanées des Français lorsqu’ils s’expriment sur les raison de leur opinion et que BVA a recueillies. Un décryptage de l’Observatoire de l’opinion, en partenariat avec L’Obs.
Il a « une vision claire, une autorité », « il est dynamique, prend des initiatives », entend-on souvent. C’est bien cette image, de détermination, de promesse d’action, qui constitue le principal atout d’Emmanuel Macron pour les Français interrogés. Il est « précis, déterminé », dit un autre. En un sens, il rassure. « Il sait ce qu’il veut » et c’est bien, ça change.
On trouve ainsi énormément de propos positifs autour de l’autorité, comme si le rétablissement de la verticalité de la fonction était bel et bien l’une des attentes premières des Français : « il établit des règles, veut les appliquer et veillera à ce qu’elles soient respectées », « pour l’instant, il mène sa barque comme je le conçois. De façon énergique et radicale ». « Changement, efficacité », résume un répondant pour expliquer son appréciation positive. De fait, pour beaucoup, les deux sont liés : il fallait du changement pour retrouver une efficacité.
Par ailleurs, « il incarne la jeunesse ». La référence revient en boucle, toujours positive : on y voit « le changement de l’ordre politique établi depuis trop longtemps ». Car être « jeune » pour l’opinion, c’est d’abord ne pas être pris dans les filets des jeux d’intérêts et renvois d’ascenseurs : « un coup de balai sur les mammouths de la politique qui se partagent le gâteau ! ».
Cette jeunesse aurait pu être vue comme de l’inexpérience, soulever des doutes… Mais non, ce n’est pas ainsi qu’elle résonne. Pourquoi ? Car, malgré sa « jeunesse », Emmanuel Macron semble avoir « du métier » dans le sens utile du terme : il a montré « une habileté tactique et un sens aigu du timing », note l’un. Cela rassure : il pourrait donc être en mesure de résister au retour de l’ancien système, le maîtriser. Car chacun voit bien que le passage d’une génération politique à une autre ne se fera pas sans heurts ni volonté de revanche. « Grand stratège », lit-on ainsi, et c’est cette fois-ci positif. Cela n’a pas toujours été le cas : souvenons-nous que « l’intelligence » de François Hollande était le plus souvent mise à son discrédit, car comprise comme un art de manipuler ou de multiplier les calculs politiciens… Là, les Français accordent à Emmanuel Macron le bénéfice d’utiliser cette intelligence pour se protéger de ces jeux-là.
Une sorte de bénéfice du doute, qui peut tenir tant qu’elle n’est pas contredite… Jusque-là, il semble plutôt avoir, aux yeux des personnes interrogées, tenu ses promesses de renouvellement : « crédible… Il dit, il fait. Dépoussière la vie politique »; « c’est un changement de mentalité, un changement d’état d’esprit, un renouveau »; « je le sens honnête ».
« Je le sens » : il y a dans cette expression toute la signification du sursis. « Je le sens, j’aimerais bien y croire, mais je ne suis pas sûr, j’attends de voir ». C’est peu dire que le premier écart risque de s’avérer destructeur, pour Emmanuel Macron bien plus que pour ses prédécesseurs. Les gens ont projeté des choses en lui, sans en être certains. Il ne tient donc que par la preuve, non par la conviction ou la certitude : que le doute tombe, du mauvais côté, et il sera déception, bien difficile à relever.
C’est dans ce contexte que se comprend la résonance de la polémique autour de Richard Ferrand : elle pourrait devenir aux yeux de ces Français, si elle prend de l’ampleur, le premier « test » de sa tolérance au retour des dérives que l’on ne voulait plus voir, et de sa détermination à agir pour y mettre fin. « Je ne crois pas qu’il mentira volontairement, il semble déterminé dans ses actions. Il faut lui donner une chance de réussir, les autres ont tellement été lamentables. Lui, je crois qu’il est honnête ». La bienveillance des Français n’est donc, à ce stade encore, « qu’une chance » : un sursis, exactement, une « mise à l’épreuve » qui pourrait être révoquée s’il semble ne pas se conformer au contrat.
En attendant, son attitude vis-à-vis des médias est plutôt bien jugée. Il faut dire que ceux-ci ont écorné leur image durant la campagne, s’en tenir à distance paraît donc plutôt sain : « il a trouvé jusqu’à présent la position juste d’un président, à la fois ferme sur sa base, et respectueux des règles et des institutions, mais sachant instaurer une certaine distance vis-à-vis des médias. À suivre… ».
On trouve bien entendu, à côté de ces « éloges présumés », si l’on peut les qualifier ainsi, des personnes déjà sceptiques, voire hostiles.
Quelques critiques idéologiques d’abord, des deux côtés : « banquier », « mépris de classe » à gauche ; « ses prises de position sur la colonisation, pas de culture française » à droite. Mais ces jugements proviennent de personnes assez politisées. Le gros des critiques n’est pas là, il est le fait de Français qui n’y « croient pas ». « Il ne fera pas ce qu’il a dit »… Ces critiques sont les miroirs des jugements positifs. Ils partent du même sentiment, un doute. Mais simplement, eux ne parviennent pas à laisser le « bénéfice du doute ».
Ils se rabattent donc, immédiatement, sur une incrédulité, décortiquent, décryptent, pointent la fausseté du geste, ou pourquoi il ne « peut pas » fonctionner. « C’est un gouvernement de parade, il fait du neuf avec du vieux ». Ces propos viennent plus souvent de personnes qui se disent « dégoûtées des politiques ». Ou tellement désabusées que, même en faisant crédit à Emmanuel Macron de sa réelle volonté, pensent que le système n’est pas curable : « je ne crois pas qu’il fasse mieux que ses prédécesseurs, même s’il a le crédit de plus d’honnêteté, et de ne pas être un pro de la politique. Mais les enjeux en question le dépassent, ce n’est qu’un homme malgré sa détermination que je crois réelle et non feinte ».
Mais la plus grande partie des Français reste sur une position d’attente : « j’attends d’en savoir plus sur le programme », « il n’a encore rien fait », « j’attends de le voir à l’œuvre ! ». Cette attente concerne notamment « l’action » qu’il a promise : faire bouger les choses, rénover de fond en comble, sans ciller. Même si l’on voit déjà que, concernant la réforme du droit du travail, le terrain est miné et demandera beaucoup d’adresse : « il veut aller trop vite et par ordonnances sur les questions relatives au travail », « il veut faire du mal aux travailleurs français ».
Tiendra-t-il cette attente de refondation ? Elle concerne tellement de choses. « Il veut changer beaucoup de choses, la loi travail, revoir les classes dans des cités difficiles… », « je lui laisse le bénéfice du doute en attendant qu’il fasse ses preuves »: toujours les preuves, comme seul juge de paix.
Or donner des preuves demande de la clarté : il est difficile de juger quelque chose d’indéterminé ou d’incertain. Or sur ce point, un bât peut blesser. « On ne sait pas qui il est », « on ne sait pas où il est » : persiste, dans l’image d’Emmanuel Macron, une forme d’indétermination fondamentale. Ni de droite, ni de gauche, du renouveau donc s’affranchissant d’un certain nombre de repères, faisant fi des règles du jeu politique… Tout cela était voulu, appelé, tant le système paraissait sclérosé et devoir être dépassé. Mais cela ne suffit pas à fonder une identité propre, c’est-à-dire autrement que « en contre ».
Cette identité, les gens l’attendent pour juger. Les premiers actes significatifs (formation du gouvernement,…) ont plutôt confirmé ce que l’opinion attendait de son nouveau président. Restent maintenant à venir les premier discours importants ou choix de politiques publiques qui porteront du sens. Et il faudra trancher. Tenter de rester un signifiant « flottant », non fixé quelque part, n’est pas une solution : cela serait vu comme une esquive, une fuite, et au final une forme d’insincérité. On en trouve déjà des traces : « L’abus de ‘mais en même temps’, qui prouve qu’il cherche constamment à ménager et la chèvre et le chou… ».
Attention, enfin, à l’enfermement qui guette : « parce que je n’aime pas son programme politique qui se tourne trop à droite et oublie les non-énarques et grandes écoles pourtant capables de réfléchir aussi », « trop fier de lui ». Une trop grande fierté, une forme « d’arrogance » que certains croient percevoir : autant de déclinaisons d’un reproche de s’être « coupé du pays », qui serait une autre façon de se faire rattraper par le système. Se laisser réenfermer dans une bulle, certes neuve et différente, mais une bulle quand même.
Un bulle qui ferait délaisser par ce nouveau président une partie des Français, ceux qui sont trop loin, trop différents de lui. Ou une génération entière, dépassée par un monde, celui des start-upers, qui va plus vite qu’eux : « je suis un senior : la cible désignée pour les impôts futurs et les mesures qu’il ne va pas manquer de prendre. S’il le pouvait, il nous ferait piquer, comme des vieux chiens ».
Mais quand même, surtout, une forme d’espoir même si l’on attend la confirmation : « pour le moment il tient la route. Il faut qu’on arrive à avancer, et j’espère qu’on a tiré le bon numéro ». Le sursis. Bienveillant, avec un poil d’inquiétude. Et l’espérance.