Collège unique : ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain

Le collège français va mal, quelles solutions faut-il y apporter ? Le Haut Conseil à l’Education a récemment publié un rapport qui décrivait les difficultés de cette institution récente du système éducatif français : le niveau des acquis des élèves y serait faible, les élèves en difficulté nombreux, les établissements très ségrégués, les plus défavorisés cumuleraient résultats scolaires faibles et niveau d’incivilité élevé.

En réponse, l’UMP, lors de sa convention du 3 novembre 2010 dédié à l’éducation, a suggéré que, face à ces difficultés, un nouveau palier d’orientation soit introduit à la fin de la cinquième. Une mesure qui signifie de fait une remise en cause partielle mais importante du collège unique. Or fait rare en recherche, les différentes études internationales convergent pour montrer que le modèle alternatif du collège unique – l’école à filières – est associé à un niveau scolaire bas et des inégalités sociales plus importantes qu’en France. Scandinavie, Japon, Corée : des modèles scolaires exigeants qui ont fait leurs preuves contre la différenciation L’école à filière ne fonctionne pas mais la version française de l’école unique plus efficace et moins inégalitaire est cependant distancée par des modèles scolaires développés dans d’autres pays, notamment au Japon, en Corée et dans certains pays scandinaves. Ces pays présentent une caractéristique commune. S’appuyant sur le principe de l’éducabilité et combattant l’idéologie du don, selon laquelle certains élèves peuvent réussir et d’autres pas, ils exigent de l’école dite obligatoire qu’elle fasse réussir tous les élèves et mettent ainsi en place des organisations qui permettent d’atteindre cet objectif toujours difficile. Où le lien est manifeste entre discours politique et moyens mis en œuvre Il en ressort une série de caractéristiques communes, politiques et pragmatiques, dans ces organisations scolaires. Il existe tout d’abord un lien manifeste et démontré dans le discours politique entre les objectifs affichés et les moyens mis en œuvre par l’institution. Les politiques croient dans l’objectif affiché, le démontrent par l’organisation mise en place, ce qui entraîne une plus forte adhésion des acteurs de terrain, sans laquelle au final toute réforme reste lettre morte. Une autre spécificité est qu’il n’y a pas de politiques de gauche ou de droite mais des objectifs et des lignes d’action qui font consensus et qui perdurent sur plusieurs décennies, sécurisant ainsi les acteurs de terrain qui ne sont plus en prise avec des réformes contradictoires. Ainsi le principe d’une égalité des chances à l’école réelle a irrigué les politiques scolaires sur plusieurs décennies en Finlande, en Suède ou encore au Japon et en Corée, jusqu’au début des années 2000 et s’est accompagné de résultats tangibles. Où l’hétérogénéité des classes et le suivi individualisé de tous les élèves priment De ce consensus politique autour d’une l’école obligatoire, lieu d’apprentissage pour tous, découle un ensemble de caractéristiques d’organisation scolaire. La réussite de tous les élèves signifie le refus des classes de niveau qui entraînent le plus souvent une forme de ségrégation scolaire. Tous les élèves évoluent dans des classes hétérogènes et profitent d’une pédagogie adaptée à la gestion de tels contextes : il peut s’agir d’actions de tutorat au sein de la classe entre les élèves comme au Japon ou en Corée qui créa le projet d’« école ouverte ». Il peut s’agir aussi d’une aide personnalisée apportée à chacun, fort différente des actions de remédiation qui, dispensées chez nous de façon parcimonieuse, stigmatisent plus qu’elles n’aident les élèves. Un tel plan de rénovation de l’enseignement scolaire (aide individualisée, fin des classes de niveau, suppression du redoublement, etc.) a été mis en œuvre dans les années 1980 en Finlande à une époque où la France peinait encore à mettre réellement en place son collège unique. Où l’autonomie s’exerce dans un cadre national prescriptif Par ailleurs, dans ces systèmes éducatifs qui réussissent à faire avancer tous les élèves, une certaine forme d’autonomie peut être donnée aux établissements scolaires car les mutations positives ne vont pas toujours du haut vers le bas. Pour autant, deux conditions essentielles doivent encadrer cette liberté pour qu’elle ne se retourne pas contre l’objectif de réussite de tous. Elle doit s’exercer dans un cadre national prescriptif qui interdit la balkanisation du système éducatif et elle n’est possible que dans des systèmes qui ont mis en place des mécanismes, notamment au niveau des inscriptions des élèves, qui permettent une forte mixité sociale dans et entre les établissements. Où « Life skills » et orientation professionnelle sont intégrées à l’emploi du temps Enfin, puisque l’école unique doit mixer tous les jeunes du pays qui, au sortir de l’enseignement obligatoire emprunteront des voies de formation diverses, les contenus enseignés doivent être en lien avec l’éventail des débouchés professionnels. Aux côtés des matières traditionnellement proposées, un curriculum ouvert sur des disciplines non académiques doit être offert à tous les élèves. Il ne doit pas s’agir d’options que les institutions scolaires s’empressent de transformer en outils de sélection ou de relégation mais d’enseignements obligatoires. Ainsi dans tous les pays scandinaves et dans de nombreux pays anglo-saxons neufs, les disciplines appelées Life skills (compétences pour la vie) ainsi que l’orientation professionnelle et la vie des métiers font partie de l’emploi du temps de tous les élèves. Où la notation n’est pas qu’un couperet Enfin, dernière caractéristique essentielle de ces écoles, le système de notation n’est pas là pour sanctionner et établir un classement qui n’a pas lieu d’être dès le début de la scolarité mais pour contribuer à orienter la formation. Les pratiques de notes sous forme numérique dès le primaire comme en France n’est pas le lot de tous les pays de l’OCDE. Faut-il tuer ou rénover le collège unique ? Certes, ces pistes d’évolution peuvent heurter les sensibilités des praticiens de l’éducation, des parents, voire des politiques plus enclins au statu quo ou à un retour vers l’école de notre passé, politique électoraliste rassurante. Elles ont cependant l’avantage de reposer la question du collège unique sous un autre angle : a-t-il vraiment échoué en France ou notre système éducatif n’a-t-il tout simplement pas encore accouché d’une common school moderne adaptée aux nouvelles contraintes sociales, économiques et culturelles que notre pays affronte aujourd’hui ? Faut-il tuer le collège unique et prendre des risques non négligeables en termes de cohésion et de discrimination sociale ou faut-il le rénover comme les expériences étrangères positives nous le suggèrent ? C’est un choix de société qui s’offrira certainement au citoyen en 2012. Article écrit pour La Fondation Jean-Jaurès par Nathalie Mons, Maître de conférences à l’Université de Paris-Est Marne-la-Vallée, afin d’être publié dans les Cahiers de l’éducation. numéro 100, décembre 2010

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