Alors que le Salon des maires et des collectivités s’ouvre aujourd’hui, Simon-Pierre Sengayrac, codirecteur de l’Observatoire de l’économie de la Fondation, et Johan Theuret, cofondateur du Sens du service public, reviennent sur les annonces du gouvernement dans le cadre du projet de loi de finances 2025 qui ambitionne de faire contribuer les collectivités territoriales à hauteur de 5 milliards d’euros. Ils estiment que l’investissement local pourrait chuter 12 milliards d’euros tout en augmentant l’endettement public.
Dans un contexte de « dérapage budgétaire » des administrations publiques en 2024, les collectivités territoriales sont « amenées à participer à l’effort de redressement budgétaire » de 60 milliards d’euros1Il s’agit de l’effort tendanciel présenté par le gouvernement. L’effort réel est estimé à 44 milliards d’euros par le Haut Conseil aux finances publiques (HCFP) : Avis relatif aux projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour l’année 2025. souhaité par le gouvernement pour 2025. Son projet de loi de finances (PLF) pour 2025 ambitionne ainsi qu’elles contribuent à hauteur de 5 milliards d’euros2Direction du budget, Projet de loi de finances 2025, octobre 2024. en réduisant les concours financiers de l’État, dans l’espoir que cela les contraigne à réduire leurs dépenses de fonctionnement.
En réalité, cet effort budgétaire aura deux impacts massifs : une forte baisse de l’investissement local et une hausse de l’endettement public. Dans cette note, nous estimons que les efforts budgétaires demandés aux collectivités pourraient faire chuter l’investissement local de 12 milliards d’euros, soit -16% par rapport à 2023, à niveau d’endettement inchangé.
Au-delà d’être injuste, cet effort aura un impact économique récessif important : alors que l’investissement public local représente 58% de l’investissement public total3Inspection générale des finances, L’Investissement public local, 2023., il contribue fortement à la création d’activité et d’emplois dans les territoires dans un large spectre de secteurs (logements, bâtiments publics, transports, voirie, gestion de l’eau, etc.). Les effets à attendre sur l’activité et l’emploi d’une baisse aussi significative de l’investissement des collectivités locales sont naturellement très dépendants de la conjoncture économique, dont les prévisions pour 2025 ne sont guère réjouissantes. Si Michel Barnier a déjà annoncé des aménagements concernant les départements4Mathilde Goupil et Juliette Campion, « Budget 2025 : Michel Barnier annonce une réduction « très significative » des économies demandée aux départements », France Info, 16 novembre 2024., ceux-ci sont soumis au fait de voter de nouvelles économies lors des débats budgétaires en cours au Sénat.
Après une rapide revue des principales mesures budgétaires touchant les collectivités, cette note rappelle que celles-ci sont structurellement en bonne santé, grâce notamment à une règle d’or budgétaire. Enfin, l’impact de ces mesures sur l’investissement local est estimé dans la dernière partie.
Les mesures d’économies sur les collectivités locales sont injustes, brutales, et poursuivent la remise en question de leur autonomie financière5L’ensemble des informations présentées dans cette partie sont issues du projet de loi de finances 2025.
L’objectif de contribution des collectivités au redressement des comptes publics est légitime, mais la méthode choisie soulève de nombreuses inquiétudes quant à son impact sur l’investissement local, son caractère non ciblé et ses effets sans doute limités sur le déficit public.
Un fonds « de précaution » réduisant la capacité des 450 plus grosses collectivités de mener leurs missions
Il s’agit d’une des mesures les plus significatives. Environ 3 milliards d’euros seraient prélevés directement sur les recettes réelles de fonctionnement des 450 collectivités ayant un budget supérieur à 40 millions d’euros. Ce prélèvement opéré unilatéralement par l’État serait limité à un maximum de 2% des recettes réelles de fonctionnement. L’instauration de ce prélèvement sur les recettes réelles de fonctionnement risque de reproduire les mêmes effets de la baisse de la dotation globale de fonctionnement (DGF) entre 2013 et 2017, période où l’investissement public s’est contracté de 11%6Cour des comptes, Les finances publiques locales 2018, septembre 2018..
Le non-versement d’une partie du fonds de compensation de TVA (FCTVA), recette pourtant due aux collectivités et essentielle dans le financement de leurs investissements
Le fonds de compensation de la TVA serait réduit de 800 millions d’euros. Son taux passerait de 16,4% à 14,85% et le gouvernement exclurait de nouveau certaines dépenses du périmètre d’éligibilité (les dépenses d’entretien des bâtiments publics, de la voirie). Malgré sa complexité, le FCTVA vient rembourser aux collectivités la TVA qu’elles ont payée lors de leurs achats (modulo certains retraitements), alors qu’elles n’y sont pas assujetties (et pour cause, il s’agit d’une taxe du public au public). Il est donc inconcevable d’en faire un outil d’ajustement budgétaire.
L’écrêtement de la recette TVA, pourtant versée en compensation des suppressions d’impôts locaux des années 2018-2021
En raison de la suppression de la taxe d’habitation et de la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises, une quote-part de la TVA a été transférée, sans pouvoir de taux, aux collectivités locales. Le PLF 2025 prévoit de supprimer la dynamique de TVA reversée aux collectivités, ce qui signifie que l’État versera en 2025 le même montant qu’en 2024, et conservera la hausse observée entre les deux années, contrairement à l’engagement pris par le gouvernement lors de la suppression des impôts locaux. Cela représenterait une économie de 1,2 milliard d’euros pour l’État alors que la TVA représente plus de la moitié des recettes de fonctionnement des régions et des intercommunalités.
Nouvelle baisse du Fonds vert qui doit accompagner la transition écologique dans les territoires
La baisse de dépenses de l’État se traduit aussi par une nouvelle révision de l’enveloppe du Fonds vert censé accélérer et soutenir la transition écologique. Un montant de 1 milliard d’euros est annoncé pour 2025 alors qu’il était de 2,5 milliards en 2024. Alors que les collectivités ont un rôle moteur dans le financement de la transition écologique, cette mesure risque de marquer un coup d’arrêt à la dynamique observée depuis 2017 (+44% de dépenses en faveur de la transition depuis 20177Institue for Climate Economics et La Banque postale, Panorama des financements climat des collectivités locales, 2024.). Tandis que les besoins de financement dans la transition portés par les collectivités est estimée à +10 milliards d’euros chaque année8Ibid., une telle mesure freinera l’atteinte de cet objectif.
Une hausse sans précédent de la cotisation à la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL)
Le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) prévoit une hausse des cotisations patronales de la CNRACL de 4 points pendant trois ans de suite. Au total, sur les trois prochaines années, ce sont 12 points supplémentaires de cotisation qui sont annoncés, soit un niveau sans précédent. Cela représente un effort budgétaire de 1,75 milliard d’euros par an pour les collectivités au moment où le gouvernement les somme de réduire leurs dépenses de fonctionnement.
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Abonnez-vousLes collectivités territoriales sont structurellement en bonne santé
Les collectivités dégagent un excédent structurel
La contribution des collectivités à la dépense publique permet de relativiser leur responsabilité dans le dérapage des finances publiques. En 2023, la dépense publique se répartit en trois acteurs : 43% pour les administrations de Sécurité sociale (hôpitaux publics, régimes général et spéciaux…), 39% pour l’État et 18% seulement pour les administrations publiques locales9Jaune budgétaire, Transferts financiers de l’État aux collectivités territoriales, 2024.. Pour financer leurs dépenses publiques en 2023, les collectivités ont engendré un déficit de 5,3 milliards d’euros alors que, en 2021 et 2022, elles étaient quasiment à l’équilibre10Ibid.. Ces 5,3 milliards d’euros de déficit des collectivités locales doivent être comparés aux 156,4 milliards d’euros de déficit de l’État. Entre 2022 et 2023, le déficit de l’État a augmenté à lui seul de 7,3 milliards d’euros, montant supérieur au déficit de toutes les collectivités locales.
Par ailleurs, le déficit des collectivités depuis 2023 est dû à des événements indépendants de leur volonté – la revalorisation du point d’indice des fonctionnaires décidé par l’État et l’inflation – qui ont accru leurs dépenses de fonctionnement.
Tableau 1. Évolution entre 1983 et 2023 des soldes budgétaires de l’État et des collectivités territoriales
Source : Le Sens du service public.
Les collectivités territoriales sont soumises à des règles de gestion budgétaire plus strictes que l’État
Concernant la dette, en 2023, celle de l’État représentait 91,7% du PIB et celle des administrations locales était de 8,9% du PIB11Source : Fipeco, sur base Insee.. Concrètement, en 2023, sur les 3101 milliards d’euros de dette publique, celle des collectivités avoisinait 250 milliards et celle de l’État 2513 milliards. Cette différence s’explique par le fait que les collectivités sont soumises à une règle d’or : les administrations locales sont obligées par la loi d’équilibrer leur budget de fonctionnement12Article L.1612-4 du Code général des collectivités territoriales.. Dès lors, leur dette ne finance que des dépenses d’investissement. Pour sa part, la dette de l’État peut indistinctement financer des dépenses de fonctionnement et d’investissement.
Tableau 2. Évolution de la dette des administrations publiques de 1978 à 2023
Source : Le Sens du service public, sur base Insee.
L’impact des efforts budgétaires demandés aux collectivités pourraient faire chuter l’investissement local de 12 milliards d’euros, soit une baisse de 16% par rapport à 2023
L’estimation de l’impact de l’effort budgétaire demandé aux collectivités nécessite de distinguer leurs effets sur les comptes des collectivités. Le fonds de précaution et l’écrêtement de recette TVA viennent réduire les recettes de fonctionnement de 4,2 milliards d’euros. La cotisation supplémentaire au CNRACL accroît leurs dépenses de fonctionnement de 1,3 milliard d’euros. Ces deux types de mesures vont donc réduire la capacité d’autofinancement des collectivités (CAF), indicateur essentiel de leur santé financière et de leur capacité à investir. La baisse du budget du Fonds vert va réduire les recettes d’investissement des collectivités à hauteur de 1,5 milliard d’euros, au même titre que le non-versement de 800 millions d’euros de FCTVA.
Toutes ces mesures peuvent avoir de multiples impacts sur les collectivités, en fonction de leur santé financière actuelle. Il est donc difficile d’estimer un impact global. Toutefois, il est possible d’anticiper plusieurs tendances.
- En fonctionnement, les collectivités seront contraintes de réduire leurs dépenses afin de garder l’équilibre obligatoire de leur section de fonctionnement. Toutefois, en dehors des régions, les dépenses des collectivités sont fortement contraintes : versement du RSA et des autres aides sociales par les départements, versement des rémunérations des agents publics, administration des établissements scolaires, fonctionnement des services publics de transports, de voirie, d’eau et d’assainissement, d’enlèvement des ordures ménagères, etc. Il faut donc anticiper une dégradation de ces services publics.
- En investissement, les collectivités devront soit réduire leurs dépenses d’équipement et d’aménagement, soit accroître leur endettement pour compenser la perte de CAF et de FCTVA. Il serait ainsi ironique qu’en voulant assainir les finances publiques, ces mesures gouvernementales conduisent à accroître la dette locale.
Afin d’estimer en première approche l’impact chiffré de ces mesures, nous partons de l’hypothèse que les collectivités vont chercher à stabiliser leur niveau d’endettement. Ceci se justifie dans la mesure où leur capacité à financer cet endettement supplémentaire est aujourd’hui réduite tant par la dégradation récente de leur situation que par les mesures d’économies prévues en 2025. En l’absence de données définitives sur 2024 (l’exercice budgétaire n’étant pas clos), il semble prudent de repartir des données définitives de 2023, bien que cela masque les évolutions connues au cours de cette année. Par ailleurs, la présentation d’un chiffre global ne tient pas compte des situations individuelles : certaines collectivités peu endettées pourront absorber l’effort demandé sans impact sur leur investissement alors que d’autres (notamment les départements) seront dans l’incapacité d’engager des dépenses supplémentaires sans fragiliser leur équilibre budgétaire. Il faut enfin préciser que l’impact de ces mesures sur les budgets locaux sera pluriannuel : certaines collectivités ne pourront pas réduire immédiatement leurs investissements (certains projets étant déjà en cours, ce qu’on appelle des « coups partis ») et reporteront l’effort sur 2026.
Au global, il est estimé que l’investissement public local en 2025 pourrait se contracter de 12 milliards d’euros, soit -16% par rapport à 2023.
Tableau 3. Détail de l’impact budgétaire des mesures d’économies sur les collectivités
2023 | 2025 | Évolution (milliard d’euros) | Évolution (%) | |
SECTION DE FONCTIONNEMENT | ||||
Fonds de précaution (milliard d’euros) | – | -3 | ||
Écrêtement de TVA (milliard d’euros) | – | -1,2 | ||
Cotisation supplémentaire CNRACL (milliard d’euros) | – | -1,3 | ||
Capacité d’autofinancement (milliard d’euros) | 43,8 | 38,3 | -5,5 | -13% |
SECTION D’INVESTISSEMENT | ||||
Baisse du FCTVA (milliard d’euros) | – | -0,8 | ||
Baisse du Fonds vert (milliard d’euros) | – | -1,2 | ||
Dépenses d’investissement (milliard d’euros) | 77,25 | 65 | -12 | -16% |
L’État cherche aujourd’hui à faire contribuer les collectivités pour réduire le déficit qu’il a lui-même creusé. Après avoir supprimé plusieurs impôts locaux depuis 2017, et réduit par là même l’autonomie financière des collectivités, celles-ci sont donc contraintes de réduire leurs investissements. Ceci produira des effets récessifs non négligeables13Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), La croissance à l’épreuve du redressement budgétaire, octobre 2024. alors que les collectivités assument une part importante de l’effort d’investissement public. Ce fort ralentissement des investissements locaux suscite des interrogations au moment où l’ensemble des collectivités locales consentent des efforts financiers en faveur des transitions écologique et numérique. En affaiblissant la capacité à investir des premiers investisseurs publics, le gouvernement menace l’aménagement durable et la vitalité économique des territoires. Cette situation s’avère préjudiciable face aux besoins de rénovation des infrastructures, aux efforts nécessaires en faveur du logement mais aussi aux besoins de construction de nouveaux équipements liés à l’éducation et à la santé. Dans un contexte d’effritement du lien social qui s’accompagne d’une hausse du vote du Rassemblement national, il est à craindre que cette chute prévisible des investissements publics locaux mette une pièce supplémentaire dans la machine.
- 1Il s’agit de l’effort tendanciel présenté par le gouvernement. L’effort réel est estimé à 44 milliards d’euros par le Haut Conseil aux finances publiques (HCFP) : Avis relatif aux projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour l’année 2025.
- 2Direction du budget, Projet de loi de finances 2025, octobre 2024.
- 3Inspection générale des finances, L’Investissement public local, 2023.
- 4Mathilde Goupil et Juliette Campion, « Budget 2025 : Michel Barnier annonce une réduction « très significative » des économies demandée aux départements », France Info, 16 novembre 2024.
- 5L’ensemble des informations présentées dans cette partie sont issues du projet de loi de finances 2025.
- 6Cour des comptes, Les finances publiques locales 2018, septembre 2018.
- 7Institue for Climate Economics et La Banque postale, Panorama des financements climat des collectivités locales, 2024.
- 8Ibid.
- 9Jaune budgétaire, Transferts financiers de l’État aux collectivités territoriales, 2024.
- 10Ibid.
- 11Source : Fipeco, sur base Insee.
- 12Article L.1612-4 du Code général des collectivités territoriales.
- 13Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), La croissance à l’épreuve du redressement budgétaire, octobre 2024.