Attaque du Capitole : un mouvement en gestation depuis des années

Que s’est-il passé ce 6 janvier 2021 à Washington DC ? Choquée mais pas surprise par l’attaque organisée par Donald Trump et ses supporters contre le Capitole, la sociologue Amy Cooter, maîtresse de conférences à l’Université Vanderbilt et spécialiste des milices américaines, livre une première analyse sur cet événement sans précédent pour la démocratie américaine.

Comment décririez-vous ce qui s’est passé ? Une manifestation violente ? Un coup d’État ? Du terrorisme ? 

« Manifestation » est un terme trop doux, mais je ne suis pas sûre de la meilleure étiquette à employer. J’ai discuté avec des collègues et des universitaires d’autres domaines académiques qui suggèrent que parler de « coup d’État » n’est pas tout à fait juste non plus, en partie parce qu’ils estiment que ces gens n’essayaient pas vraiment de s’approprier le pouvoir, n’essayaient pas vraiment d’impliquer les militaires et n’avaient pas de plan clair pour se maintenir au pouvoir. Cependant, je suis tentée d’utiliser ce mot parce qu’ils essaient clairement de faire en sorte que Trump reste au pouvoir. Il y a aussi des éléments de terrorisme, mais ce terme semble trop général. Peut-être que quelque chose comme « proto-coup d’État » est le meilleur terme dont nous disposons pour travailler en ce moment.

La meilleure façon de les décrire est peut-être de parler d’insurgés

Comment qualifieriez-vous les participants ? Des « suprémacistes blancs » ? Des « fascistes » ? Comment se décrivent-ils eux-mêmes ? 

Il y avait plusieurs groupes différents impliqués, qui méritent des étiquettes différentes. À l’heure actuelle, je pense que la meilleure façon de les décrire est peut-être de parler « d’insurgés ». Bien sûr, ils se voient tout à fait différemment, comme de véritables patriotes essayant de protéger leur version de la « vraie » Amérique qu’ils pensent être menacée par l’administration Biden.

La colère qui s’est exprimée est en gestation depuis de nombreuses années

Vous êtes spécialiste des milices américaines. Voyez-vous l’attaque du Capitole comme le fait d’une foule devenue folle ou comme quelque chose de planifié à l’avance ? 

La colère qui s’est exprimée est en gestation depuis de nombreuses années, mais les plans pour attaquer le Capitole étaient, au mieux, fragmentés et quelque peu nébuleux. À notre connaissance, il n’y avait pas de structure organisationnelle globale, mais plutôt des individus et des petits groupes répondant à un appel général à l’action.

Les sondages indiquent que près de la moitié des électeurs républicains approuvent cette attaque. Quelle est leur logique ? 

Je pense que cela se résume en grande partie au tribalisme et à leur perception que les républicains et les démocrates sont en quelque sorte fondamentalement et moralement opposés les uns aux autres. C’est une perception que Trump a bien sûr favorisée. Mais certains semblent croire sincèrement qu’il y a eu fraude électorale et que quelque chose doit être fait pour garantir un résultat légitime.

Cela nous rappelle que la démocratie est fragile

Vous avez étudié et mis en garde contre le mouvement des milices depuis de nombreuses années. Êtes-vous surprise par ce qui s’est passé ? Que faut-il pour qu’un pays démocratique se retrouve dans une telle situation ? 

Je ne suis pas surprise, même si les images sont malgré tout choquantes et assez consternantes. Je pense que cela nous rappelle que la démocratie est fragile et que nous avons besoin, entre autres choses, d’une meilleure éducation sur les systèmes gouvernementaux, sur la science et le raisonnement critique afin que les gens ne soient pas si facilement convaincus par des thèses conspirationnistes. C’est aussi un bon rappel des raisons pour lesquelles nous devrions précisément prendre des groupes comme celui-ci plus au sérieux, tant d’un point de vue académique que pratique.

Cela faisait des semaines que ces gens parlaient ouvertement de se rendre au Capitole

D’un point de vue systémique, comment expliquez-vous le manque de sécurité autour du Capitole ? 

Je suis sûr que nous entendrons beaucoup d’histoires à ce sujet dans les jours à venir, mais il semble certainement que la police ait dramatiquement sous-estimé le risque, ce qui est franchement absurde étant donné que cela faisait des semaines que ces gens parlaient ouvertement de se rendre au Capitole et de s’engager dans des actions potentiellement violentes. Cela semble très bien correspondre à une tendance de la police à sous-estimer le potentiel de violence des Blancs. La comparaison avec la façon dont ils perçoivent les manifestants noirs comme des menaces est criante. 

Il est très important qu’il y ait des conséquences

Quelle est la meilleure façon de faire face à ce qui s’est passé : poursuivre avec la plus grande fermeté tous ceux qui ont été impliqués, au risque de les transformer en martyrs de leur cause et d’amplifier leur mouvement, ou essayer de désamorcer la tension, « panser les plaies », ce qui ferait passer le message qu’il n’y a pas de coût à essayer de renverser une élection ? 

Je pense qu’il est très important qu’il y ait des conséquences pour les personnes qui se sont engagées dans ces actions, en particulier pour les dirigeants et les politiciens qui ont soutenu et approuvé ces attaques. Sans conséquences, je crains que ce genre de comportement ne se normalise et ne devienne plus courant. Les appels à l’unité sont vides de sens quand « l’unité » implique en réalité qu’il faudrait ignorer les menaces permanentes que des groupes comme celui-ci peuvent représenter pour les autres et pour la démocratie elle-même. 

Propos recueillis par Roman Bornstein (Fondation Jean-Jaurès)

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