Alors que le terme légal du mandat présidentiel de Joseph Kabila échoira en décembre, les tensions ne cessent de s’accroître à Kinshasa et en République démocratique du Congo (RDC). Dans cet entretien, un expert français en mission en RDC analyse les récents événements et la situation politique qui prévaut aujourd’hui au Congo.
De graves troubles ont débuté le 19 septembre 2016 en RDC, avec une forte recrudescence autour de l’aérodrome de Kananga, dans le centre de la RDC, où des partisans d’un chef coutumier tué en août par les forces de l’ordre ont attaqué l’aéroport, selon des sources concordantes. Des bilans contradictoires compilés par l’AFP font état d’au moins dix morts et peut-être même plusieurs dizaines. Quelle est l’origine du problème ? Pourquoi cette date du 19 septembre était-elle symbolique ?
Le 19 septembre était la date limite pour la Commission électorale nationale indépendante (CENI) pour lancer le processus électoral des élections présidentielle et législatives et en fixer les dates (mi-décembre comme le prévoit la Constitution). Or, comme prévu, il ne s’est rien passé. L’opposition avait programmé une manifestation pour faire pression et obtenir le respect de la Constitution. La manifestation a été autorisée et pourtant cela n’a pas empêché les heurs pendant plus de deux jours avec des dizaines de morts.
Combien ?
Difficile à dire, le gouvernement dit 32 et l’opposition plus de 100 ; sans doute entre les deux (sans compter les blessés).
Dans certains pays, internet et RFI sont coupés. Etait-ce le cas en RDC ? Il semblerait également que les prix d’abonnement à internet est augmenté de + 300%. S’agirait-il de limiter l’accès aux réseaux sociaux ?
Cette fois nous n’avons pas eu de coupure d’internet ni de RFI mais c’est déjà arrivé. La forte augmentation des tarifs a engendré de vives protestations particulièrement chez les jeunes mais aussi chez des chefs d’entreprise. En conséquence, ils ont un peu baissé la hausse sans revenir pour autant aux tarifs antérieurs.
Vous sentez-vous en danger ou avez-vous craint pour vous-même ou votre famille à un moment donné ?
Oui et non. On n’est pas fier quand ce genre d’événements arrive car, même si on n’est pas dans le périmètre immédiat, on ne sait pas comment les choses vont évoluer. Les émeutes commencent généralement dans ce qu’on appelle « La cité » (les quartiers populaires) et ensuite évoluent vite vers le « centre-ville » (La Gombe). Les expatriés ne sont pas là pour se battre, ni entraînés pour cela.
Lors de moments de très forte tension, les expatriés peuvent être une cible pour ceux qui les qualifient de « pilleurs du Congo ». Il existe un discours récurrent contre la communauté internationale (qui dans le même temps apporte beaucoup de moyens et permet de stabiliser et de développer le pays).
Le pillage du Congo, est-ce vrai ?
Quand on parle de la Communauté internationale ou des expatriés… c’est vague et global. On y met les anciens colons (belges), les représentants des Etats, les Agences internationales et les ONG qui développent des projets d’intérêt général et les entreprises privées présentes pour faire du profit.
Historiquement, le pillage est une réalité, comme dans toute l’Afrique, par les Occidentaux, depuis les grandes découvertes au XVIe siècle. Si aujourd’hui certaines grandes entreprises privées « pillent », c’est qu’elles ont obtenu des marchés et des autorisations d’exploiter de la part des autorités du pays (la RDC est un pays riche de par ses minerais). Quant à nous, au titre de la coopération entre Etats, nous ne pillons pas. Nous apportons une expertise technique, pour aider à la mise en place de politiques publiques, et des financements pour les concrétiser.
La position du président François Hollande faisant porter la responsabilité des violences aux autorités congolaises n’a pas été très appréciée de leur part, n’est-ce pas ?
C’est le moins que l’on puisse dire. La réplique a été cinglante : « la RDC n’est pas un département d’Outre-Mer de la France ». Le discours faisant référence, d’une façon ou d’une autre, au colonialisme, fonctionne toujours. C’est l’argument à disposition pour renvoyer la communauté internationale d’un revers de la main sans répondre au problème de fond.
Quelles forces politiques soutient la France ?
Aucune. C’est aux Congolais de choisir leurs dirigeants. Elle demande seulement le respect du processus électoral prévu dans la Constitution. C’est ce qui lui permet de justifier l’aide qu’elle apporte, vis-à-vis de notre Parlement (qui votent les crédits), mais aussi de la population française. C’est l’application du principe énoncé par François Mitterrand dans son discours de La Baule en 1990 : « l’aide contre la démocratie et la bonne gouvernance ». C’est la conviction qu’il ne peut y avoir de développement sans démocratie ni de démocratie sans développement. Quoi qu’en disent certains, la Françafrique n’est plus la réalité.
Comment pensez-vous que la situation va évoluer ?
J’ai l’impression que cela ne fait que commencer. L’avancée du calendrier vers la date théorique des élections va certainement être une montée en tension. A moins que les forces politiques, avec l’aide d’un médiateur international, ne trouvent un terrain d’entente pour une date des élections et gérer pacifiquement une transition. A noter que le 28 septembre, les Américains ont décidé l’évacuation des familles de leurs diplomates vers le Congo Brazzaville (de l’autre côté du fleuve Congo). Notre ministre des Affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault, déclarait également que la RDC était au bord de la guerre civile.
Des élections à court terme sont réclamées par l’opposition. Pensez-vous qu’elles puissent avoir lieu rapidement et que cela soit susceptible de ramener le calme ? Pourquoi est-ce apparemment impossible de les organiser dans les délais ?
Il n’y a pas que l’opposition qui réclame les élections, c’est prévu par la Constitution. Le chef de l’Etat a donné trois raisons pour ne pas pouvoir les organiser : 1/ pas assez d’argent (seule la moitié des sommes nécessaires a été inscrite au budget de l’Etat) ; 2/ les listes électorales ne sont pas à jour ; il faut inscrire au moins 8 millions de jeunes ayant eu la majorité et retirer les personnes décédées ; 3/ des bandes armées dans certaines provinces créent de l’insécurité ; le scrutin ne peut donc s’y dérouler pacifiquement.
C’est donc vrai ? Que répond alors l’opposition ?
Oui, les arguments sont vrais, pris au pied de la lettre. L’opposition répond que : 1/ la communauté internationale est prête à financer le solde si des actes de préparation des élections sont enclenchés ; 2/ que les listes électorales pouvaient être mises à jour en s’y prenant à l’avance ; 3/ la MONUSCO (Mission de l’Organisation des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo) et l’armée congolaise sont là pour assurer la sécurité du processus électoral. Ces trois réponses sont aussi vraies que les trois objections de départ.
Vu de France, on a toujours l’impression que ceux qui sont au pouvoir sont « les méchants » et ceux qui sont dans l’opposition « les gentils ». Sans doute un vieux réflexe de « la défense de la veuve et de l’orphelin ». Qu’en pensez-vous ?
Effectivement, ce n’est pas la bonne analyse. D’abord, il ne faut pas projeter notre façon de faire de la politique dans les pays industrialisés dans le contexte africain. Entre majorité et opposition, ce ne sont pas des clivages idéologiques comme en France (droite/gauche ou extrême-droite/extrême-gauche). Pour la plupart, ce sont des clivages territoriaux ou tribaux (qui l’emportent sur les sensibilités politiques) : les gens de l’Est sont au pouvoir, les gens de l’Ouest n’y sont pas. Il y a 500 partis politiques, des centaines de syndicats et d’églises. La vie sociale et politique est morcelée.
En France, on demanderait à l’opposition quel est son programme. En RDC, on parle très peu de projets ou programmes. Pour l’instant, à part le respect de la Constitution (ce qui est évident pour un démocrate), on n’entend pas de propositions concrètes sur l’éthique des élites, la lutte contre la corruption, les actions en matière d’éducation, de santé, de développement économique ou agricole, du rôle de la RDC en Afrique, etc.
Comment influer sur le processus politique interne ?
Les déclarations publiques et officielles, si nécessaires soient-elles pour clarifier la position des parties en présence, ne sont pas suffisantes et souvent aggravent la situation. Les Etats qui veulent peser sur le processus doivent plutôt se rapprocher, en off, de certains responsables qu’ils connaissent pour les convaincre d’adopter une position d‘ouverture. L’audition accordée il y a peu par le Pape au Président congolais Joseph Kabila a davantage de résonance chez beaucoup de personnes, d’autant plus que le pays est très croyant. Un entretien qualifié ici de désapprobation du comportement des autorités. Une diplomatie plus discrète peut parfois être plus efficace.
Comment voyez-vous l’avenir en RDC et plus largement de l’Afrique ?
En deux ans, il y a eu onze élections présidentielles en Afrique avec certains processus réussis et d’autres violents. La RDC vit un moment important pour elle et pour la stabilité au centre de l’Afrique. On aimerait que les transitions se fassent pacifiquement.
Si l’Afrique veut avoir toute sa place sur la scène internationale au XXIe siècle, elle doit notamment apprendre à gérer les transitions et devenir irréprochable sur le plan démocratique et de la bonne gouvernance. Elle doit développer le sens de l’intérêt général et sortir progressivement des systèmes tribaux, provinciaux ou ethniques. C’est par une éducation de qualité pour la jeunesse que tout viendra.