Après la crise politique, réparer les fractures démocratiques

L’imbroglio politico-institutionnel que nous vivons cache une crise plus profonde : celle du fonctionnement de notre démocratie, caractérisée par une défiance généralisée des citoyens vis-à-vis des acteurs politiques comme des institutions publiques et politiques. C’est un des enseignements majeurs que Dorian Dreuil tire de la 12e édition de l’enquête Fractures françaises d’Ipsos pour Le Monde, la Fondation Jean-Jaurès, le Cevipof et l’Institut Montaigne. Pendant que les crises politiques se succèdent, les fractures démocratiques se creusent.

La démo-anxiété s’installe dans l’opinion

De la dissolution de l’Assemblée nationale à la chute du gouvernement Barnier, la crise politique ressemble à un jour sans fin. Cet imbroglio politico-institutionnel éclipse une autre crise, plus silencieuse et sournoise, celle du fonctionnement de notre démocratie. Et tous les baromètres d’opinion de sonner le même tocsin, celui de la défiance des citoyens vis-à-vis de la politique. Ainsi de la dernière vague des Fractures françaises de novembre qui nous apprend que pour 78% des Français, la « démocratie ne fonctionne pas bien ». C’est près de 9 points supplémentaires par rapport à l’année précédente, alors que les citoyens ont eu l’occasion de s’exprimer lors de deux rendez-vous électoraux, dont l’un a remobilisé une partie de l’électorat avec un record d’intensité depuis trente ans. Autre enquête d’Ipsos, en octobre 2024, et même tendance : 74% des Français jugent que « le fonctionnement de la démocratie en France s’est dégradé au cours des cinq dernières années ». L’épidémie de démo-anxiété révélée au cœur de l’été est en réalité une maladie démocratique en passe de devenir chronique. Ce diagnostic de la société aurait pu conduire à suivre le même précepte que le médecin face à son patient : « en premier, ne pas nuire ». Que de temps perdu et d’espoirs déçus ! Les élections législatives de 2022 et l’absence de majorité absolue auraient pu être l’occasion de renouveler la démocratie parlementaire. La mobilisation suscitée par la réforme des retraites en 2023 aurait pu être l’occasion de rénover la démocratie sociale et la relation avec les corps intermédiaires.

Une cohabitation peut en cacher une autre

Ce que l’année 2024 révèle, c’est que la cohabitation entre légitimité présidentielle et parlementaire ne fonctionne plus. En soixante-six ans d’existence, seules deux motions de censure ont été votées dans l’histoire de la Ve République. Elles ont pour point commun de montrer le décalage entre la pratique politique et l’attente de l’opinion. Au petit matin du 5 octobre 1962, la première motion de censure de la Ve République est votée pour renverser le gouvernement Pompidou et refuser le présidentialisme. L’opinion à l’époque est pourtant acquise à l’élection au suffrage universel direct, confirmée par referendum quelques mois après. Au soir du 5 décembre 2024, le vote de la motion de censure qui renverse le gouvernement Barnier traduit cette fois-ci une incapacité à entrer dans le parlementarisme. Alors que l’opinion est a priori plus favorable à voir les forces politiques chercher le compromis et la coalition gouvernementale. Ces deux motions de censure sont pour ainsi dire des refus d’obstacle institutionnel qui nous font oublier que si la vertu de la Ve République réside dans sa longévité, c’est bien qu’elle a sans cesse réussi à évoluer et s’adapter aux nouvelles exigences démocratiques de la société. La sortie de crise politique ne peut donc passer que par une nouvelle modernisation du fonctionnement de nos institutions, alors que la dernière réforme d’ampleur date remonte à 2008. Elle portait à l’époque le renforcement des pouvoirs du Parlement ou encore la limitation de l’utilisation de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution.

En premier, réparer la démocratie

Le défi qui s’impose à la classe politique est donc de mettre en adéquation le fonctionnement des institutions avec les nouvelles exigences démocratiques de l’opinion, quinze ans après la dernière mise à jour. L’occasion est unique pour réconcilier les différentes formes de légitimités politiques : la démocratie représentative et parlementaire, la démocratie sociale, la démocratie délibérative et la participation citoyenne. Depuis la réforme du Conseil économique, social et environnemental (CESE) de 2021, le Premier ministre peut saisir le CESE de l’organisation d’une Convention Citoyenne sur la modernisation des institutions et du fonctionnement de la démocratie. Un tel dispositif permettrait de construire une majorité dans les assemblées et dans la société en associant les élus, la société civile et des citoyens tirés au sort. Utiliser la démocratie délibérative et participative semble être le seul horizon possible pour dépasser les blocages politiques et proposer une véritable respiration démocratique suivie d’un référendum sur un projet d’évolution constitutionnelle. Réparer la démocratie est le préalable indispensable pour redonner de la légitimité politique des gouvernants aux yeux des gouvernés.

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