Alors que le projet d’accord entre l’Union européenne et le Mercosur suscite de vives controverses en Europe, Elisangela Araujo, députée fédérale du PT de l’État de Bahia, livre ici son analyse – assez justement critique – et offre ainsi un point de vue peu entendu de ce côté de l’Atlantique.
Après vingt-cinq ans de négociations, le Brésil et les pays du Mercosur1Le Mercosur (Marché commun du Sud) est composé de l’Argentine, de la Bolivie, du Brésil, du Paraguay et de l’Uruguay. La participation du Venezuela est suspendue depuis décembre 2016. ont signé un accord historique avec l’Union européenne, ouvrant la perspective d’une ère de relations commerciales et de coopération nouvelles. Pourtant, alors que le gouvernement brésilien met en avant les bénéfices économiques de l’accord, responsables syndicaux et environnementaux mettent le doigt sur une question de fond : qui sort véritablement gagnant de ces accords ?
Le projet annonce un accroissement du PIB brésilien estimé à 0,46% en 20402Simon Gerards-Iglesias et al., « Entre « autonomie stratégique » et « changement d’époque ». L’importance économique et stratégique des relations commerciales entre l’UE et le Mercosur », Ifri, Note du Cerfa n°179, septembre 2024, p. 25.. De plus, les importations brésiliennes devraient augmenter, au détriment de nos industries, qui devront affronter une concurrence sévère. Quintino Severo, secrétaire général de la CCSCS3Coordination des centrales syndicales du Cône Sud. et de la CUT4Centrale unique des travailleurs brésiliens., signale que la libéralisation proposée est une menace potentielle contre la réindustrialisation du Brésil. L’arrivée de produits européens à prix compétitifs est de nature à détériorer l’industrie locale, avec des conséquences négatives sur l’offre d’emplois et une détérioration des conditions de travail. Selon les organisations syndicales, ce pacte ne dit rien de l’inclusion sociale, et rien non plus sur le développement durable. En revanche, il est porteur d’inquiétudes : il ne dynamise que les secteurs exportateurs de produits primaires, à l’origine d’une exploitation prédatrice des ressources naturelles, génératrices de désastres environnementaux et sociaux.
Elisangela Araujo.
Un autre point discuté porte sur l’absence de transparence des négociations. Les centrales syndicales n’ont pas eu accès aux informations fondamentales concernant les termes de l’accord, en particulier sur les tarifs et les produits impactés. La confidentialité des négociations est alarmante et a provoqué de sérieuses préoccupations sur l’inclusion de clauses garantissant les droits des travailleurs au Brésil comme dans l’Union européenne. L’absence d’un protocole robuste assurant un cadre social minimal constitue une lacune susceptible de générer exploitation et précarisation du travail. On est en droit de considérer que tout accord oublieux des besoins de la population et des droits des travailleurs n’est pas acceptable. Il est impératif que l’approbation parlementaire de l’accord soit accompagnée d’une étude critique assortie de mesures garantissant des bénéfices réels pour la société, et pas seulement pour les secteurs financiers et industriels déjà privilégiés par la globalisation. Le défi est grand. Le Brésil peut et doit être acteur de ce scénario nouveau, assuré que ses intérêts sont pris en compte et respectés dans le concert international.
Mais il y a d’autres points à examiner et à pondérer. Quid de l’environnement ? L’accroissement des exportations peut encourager l’exploitation des ressources naturelles, aggravant la déforestation de la couverture brésilienne, ce qui accentue de façon urgente la demande de transparence sur ce qui a été négocié. Des critiques, comme Jaime Amorim du MST5Mouvement des Sans Terre., parlent d’une « recolonisation européenne », d’une perte de souveraineté nationale, renforçant la vision d’un Brésil cantonné à la fourniture de produits primaires. Qu’est-ce que cela signifierait pour le futur économique et social du pays ? Il est donc impératif d’exiger plus qu’un simple accord commercial. Un nouveau compromis est nécessaire, combinant croissance économique, justice sociale et environnementale. Notre futur, celui de notre peuple et celui de notre forêt, dépend de cet enjeu et de cet équilibre à construire.
Traduction de Jean-Jacques Kourliandsky, directeur de l’Observatoire de l’Amérique latine et des Caraïbes de la Fondation Jean-Jaurès
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Abonnez-vous- 1Le Mercosur (Marché commun du Sud) est composé de l’Argentine, de la Bolivie, du Brésil, du Paraguay et de l’Uruguay. La participation du Venezuela est suspendue depuis décembre 2016.
- 2Simon Gerards-Iglesias et al., « Entre « autonomie stratégique » et « changement d’époque ». L’importance économique et stratégique des relations commerciales entre l’UE et le Mercosur », Ifri, Note du Cerfa n°179, septembre 2024, p. 25.
- 3Coordination des centrales syndicales du Cône Sud.
- 4Centrale unique des travailleurs brésiliens.
- 5Mouvement des Sans Terre.