À l’Association des maires de France, les vieux partis font de la résistance

Les 16, 17 et 18 novembre dernier, le 103e Congrès de l’Association des maires et des présidents d’intercommunalité de France (AMF) se réunissait sous un titre évocateur : « Les maires en première ligne face aux crises ». Les instances de l’association ont été à cette occasion renouvelées et Achille Warnant, co-directeur de l’Observatoire de l’expérimentation et de l’innovation locales, en décrypte les enjeux.

La puissante association d’élus, fondée en 19071Haude d’Harcourt, « Le lobby des maires », Pouvoirs, 2014/1 (n° 148), pp. 71-80., attendait pour l’occasion plusieurs milliers de participants, pour une édition pas tout à fait comme les autres, marquée notamment par le renouvellement de ses instances, alors que son président, François Baroin, maire Les Républicains de Troyes et plusieurs fois ministre, sous Chirac puis Sarkozy, en fonction depuis sept ans, avait annoncé vouloir passer la main2« François Baroin lâche l’Association des maires de France », Les Échos, 25 août 2021..

Le rassemblement présentait, cette année, plusieurs particularités. Il intervenait, d’abord, deux ans après la précédente édition, les organisateurs ayant été contraints, en 2020, de l’annuler en raison de la crise sanitaire3« Le Congrès des maires 2020 est annulé », Le Courrier des Maires, 2 novembre 2020.. Il accueillait ainsi, pour la première fois, la génération des maires élus au moment de la Covid-19. Il intervenait, ensuite et surtout, à cinq mois de la mère des batailles, sur laquelle chacun, désormais, a les yeux rivés : l’élection présidentielle. 

Moins médiatisée, la campagne pour la présidence de l’AMF, qui opposait David Lisnard, maire (LR) de Cannes, successeur désigné par François Baroin4« Association des maires de France : François Baroin confirme son soutien à David Lisnard », Paris Match, 7 octobre 2021., à Philippe Laurent, maire (UDI) de Sceaux, soutenu par des élus proches du gouvernement, constituait, dans ce contexte, un enjeu important pour les différentes formations politiques. La qualification du premier, avec plus de 62% des voix, offre ainsi une victoire stratégique pour LR, auquel Lisnard appartient, et pour le PS, qui soutenait sa candidature. 

Une victoire stratégique pour LR et le PS

L’AMF est l’un des derniers cénacles dans lesquels La République en marche (LREM) est absente ou presque. Jusqu’ici, Cécile Gallien, maire de Vorey, petite commune de Haute-Loire, était la seule à représenter le parti présidentiel au sein de son bureau. Le gouvernement comptait sur les élections municipales de 2020 pour reprendre la main sur l’association qui, depuis le début du quinquennat d’Emmanuel Macron, lui mène la vie dure en raison de très nombreux désaccords sur les questions institutionnelles et fiscales. La déroute de LREM aux élections municipales a cependant compliqué l’équation. 

Dans ce contexte, le gouvernement voyait d’un bon œil la candidature du maire de Sceaux à la tête d’une liste d’élus majoritairement Macron-compatibles à l’image des maires de Reims, d’Angoulême ou de Nevers, soutenue par des personnalités de gauche et de droite, en froid avec leurs partis respectifs, comme François Rebsamen, maire (PS) de Dijon, Stéphane Le Foll, maire (PS) du Mans, ou Gaël Perdriau, maire (LR) de Saint-Étienne. Philippe Laurent, qui a peu apprécié que François Baroin se désigne un successeur, s’est lancé dans la bataille en indépendant, à la fin de l’été, rappelant que « l’AMF n’est pas la chasse gardée des partis »5« Philippe Laurent : « L’AMF n’est pas la chasse gardée des partis » », La Gazette des communes, 27 octobre 2021.. Pur produit des collectivités, il a occupé tour à tour, et parfois en même temps, les fonctions de maire de Sceaux, de vice-président de la métropole du Grand Paris, de conseiller régional d’Île-de-France et de vice-président du conseil départemental des Hauts-de-Seine. Introduit à l’AMF depuis des années – il en fut le président de la commission des finances et le secrétaire général –, le candidat aura certainement cru en ses chances jusqu’au bout, tablant sur sa volonté de « décentraliser la République » pour mieux « resynchroniser la démocratie »6« Les soutiens de Philippe Laurent, candidat à l’AMF : « Refonder la démocratie en réhabilitant le fait communal » », Le Journal du dimanche, 2 octobre 2021..

À l’arrivée, pourtant, sa défaite est sans appel, bien qu’elle permette, par le jeu de la proportionnelle, aux sympathisants d’Emmanuel Macron de renforcer leur présence dans les instances de l’AMF. Dans le camp opposé, LR, en conservant la présidence de l’institution, et le PS, en conservant la première vice-présidence, tenue depuis 2008 par l’indéboulonnable André Laignel, maire d’Issoudun, remportent une victoire importante à l’approche de la présidentielle qui souligne, en outre, la capacité de résilience des vieilles organisations partisanes7Dans le détail, la liste « Avec David Lisnard et André Laignel, un AMF rassemblé et dynamisé pour tous les maires » obtient ainsi 23 sièges des 36 au bureau et 63 sièges des 100 qui composent le comité directeur.. Elle ne doit pas, cependant, faire oublier ce qui peut apparaître, aux yeux de l’observateur extérieur, comme une étrangeté s’agissant d’une association d’élus : la très faible participation (33,9%), que les organisateurs attribuent à la dimension inhabituelle de l’exercice, les candidats choisissant traditionnellement de présenter une liste unique. Il est vrai qu’en comparaison le précédent scrutin avait rassemblé, en 2017, moins de 2 000 votants, soit environ 6% de participation. Les abstentionnistes ne sont pas toujours ceux que l’on imagine… 

Que va changer la victoire de Lisnard ? 

Sur le fond, la victoire de David Lisnard ne devrait pas bouleverser la ligne de l’AMF. De tendance libérale et conservatrice, porte-parole de François Fillon en 2017, l’homme s’est fait connaître ces derniers mois en dénonçant les dérives de la bureaucratie française et du « quoi qu’il en coûte » voulu par Emmanuel Macron8« David Lisnard : « La crise du Covid révèle la folie bureaucratique française » », Le Figaro, 14 novembre 2020.. Ce dernier revendique, toutefois, sa filiation avec le maire de Troyes mais également avec son prédécesseur, Jacques Pélissard, président de l’AMF de 2004 à 2014, dont il fut le collaborateur. David Lisnard plaide ainsi, comme François Baroin, pour un renforcement des libertés et des responsabilités locales, alors que la crise sanitaire est venue souligner les faiblesses de l’État. Il affirme aussi qu’il veillera à ce que l’AMF reste la maison commune des 34 000 maires qui composent l’association, dans un souci de « pluralisme » et « d’indépendance ». À ses côté, André Laignel, qui conserve ses fonctions, abonde dans le même sens, exhortant le gouvernement à donner un nouveau souffle à la décentralisation qui ne devrait pas relever d’une « réforme technique » mais d’une « vision politique pour la France ». Les deux hommes comptent également continuer le travail entamé au sein de « Territoires unis », un collectif regroupant l’AMF, l’Assemblée des départements de France (ADF) et Régions de France (ARF). 

Sur la forme, en revanche, les choses peuvent être amenées à évoluer. Le nouveau président de l’AMF, encore peu connu du grand public, compte probablement profiter de sa fonction pour gagner en visibilité – lui qui, rappelle le journaliste Patrick Roger, a un temps « caressé l’idée de se présenter à la primaire de la droite pour l’élection présidentielle, ou du moins entretenu cette hypothèse pour « utiliser la lucarne médiatique que ça [lui] offrirait ». Un rôle qui ne lui déplait pas »9« Après un scrutin inédit, David Lisnard succède à François Baroin à la tête de l’AMF », Le Monde, 18 novembre 2021..

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    Haude d’Harcourt, « Le lobby des maires », Pouvoirs, 2014/1 (n° 148), pp. 71-80.
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    « François Baroin lâche l’Association des maires de France », Les Échos, 25 août 2021.
  • 3
    « Le Congrès des maires 2020 est annulé », Le Courrier des Maires, 2 novembre 2020.
  • 4
    « Association des maires de France : François Baroin confirme son soutien à David Lisnard », Paris Match, 7 octobre 2021.
  • 5
    « Philippe Laurent : « L’AMF n’est pas la chasse gardée des partis » », La Gazette des communes, 27 octobre 2021.
  • 6
    « Les soutiens de Philippe Laurent, candidat à l’AMF : « Refonder la démocratie en réhabilitant le fait communal » », Le Journal du dimanche, 2 octobre 2021.
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    Dans le détail, la liste « Avec David Lisnard et André Laignel, un AMF rassemblé et dynamisé pour tous les maires » obtient ainsi 23 sièges des 36 au bureau et 63 sièges des 100 qui composent le comité directeur.
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    « David Lisnard : « La crise du Covid révèle la folie bureaucratique française » », Le Figaro, 14 novembre 2020.
  • 9
    « Après un scrutin inédit, David Lisnard succède à François Baroin à la tête de l’AMF », Le Monde, 18 novembre 2021.

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