Élections européennes : le RN et le PS, premiers bénéficiaires de la volatilité électorale

À l’approche des élections européennes, la Fondation et ses partenaires publient la cinquième vague de l’Enquête électorale française 2024, menée auprès de près de 12 000 personnes. Gilles Finchelstein, secrétaire général de la Fondation, en analyse les résultats en termes de mobilité électorale et démontre que la qualité des campagnes peut peser jusqu’à la dernière ligne droite.

Que peut une campagne électorale ? Pas tout, car une partie du rapport de forces politiques se construit avant la campagne. Mais beaucoup, car des évolutions notables se font jour pendant la campagne et l’élection du Parlement européen n’échappe pas à la règle. Il suffit, pour s’en convaincre, de prendre de la distance par rapport au suivi de l’évolution quotidienne des intentions de vote. L’impression de relatif statu quo laisse ainsi apparaître, entre les mois de novembre 2023 et mai 2024, des tendances nettes – dynamique à la hausse pour le Rassemblement national (+5) et pour le Parti socialiste-Place publique (+4) ; dynamique à la baisse pour Renaissance (-4) et pour Les Écologistes (-3,5) ; relative stabilité pour tous les autres.

Pour documenter ces tendances, et notamment pour analyser la mobilité électorale, l’Enquête électorale française est un outil unique : en interrogeant les mêmes personnes tout au long de la campagne, il permet de retracer avec précision l’origine des flux.

De premiers enseignements sont apportés par un tableau panoramique. En trois mois, entre les vagues d’enquête du début mars et de la fin mai 2024, 77% des électeurs sont restés constants. Constants pour 47% d’entre eux dans la distance politique, réitérant leur choix abstentionniste. Constants pour 30% d’entre eux dans la fidélité politique, exprimant toujours leur intention de voter pour la même liste. Durant ces trois mois, 23% des électeurs ont donc été changeants. Changeants pour 14% d’entre eux dans le choix de se rendre aux urnes – passant, dans un sens ou dans l’autre, de l’abstention au vote. Changeants pour 9% dans leur intention de vote, passant d’une liste à une autre.

Lors de la campagne présidentielle de 2022, ce ne sont pas 23% mais… 48% des électeurs qui étaient des électeurs changeants. On voit ainsi se dessiner deux idéaux types de campagne électorale. D’un côté, la campagne présidentielle : scrutin à deux tours avec enjeu de qualification pour le second tour, élection jugée efficace à 56% pour « faire entendre sa voix », enjeu déterminant, vote stratégique, et donc mobilité forte avec des évolutions de plus ou moins 15 points pour certains candidats. D’un autre côté, la campagne européenne : scrutin à un tour à la proportionnelle, élection jugée efficace à seulement 37% pour « faire entendre sa voix », enjeu secondaire, vote de cœur, et donc mobilité limitée avec des évolutions de plus ou moins 5 points pour certaines listes en 2019 comme, à une semaine du scrutin, en 2024.

L’analyse détaillée des 9% d’électeurs qui ont changé leur intention de vote durant la campagne apporte deux enseignements supplémentaires.

D’un point de vue sociologique, le profil type de l’électeur volatil – âgé, aisé, intéressé par la politique – vient contrebattre des idées reçues.

D’un point de vue politique, les flux se concentrent, logiquement, sur les listes les plus proches, ou les moins éloignées, sur une échelle gauche-droite. Illustrations concrètes avec l’analyse des deux listes qui ont connu la progression la plus forte, celles du RN et du PS ? L’une comme l’autre a davantage gagné par le transfert d’électeurs qui se portaient sur d’autres listes que par la mobilisation de nouveaux électeurs. Par importance croissante, ces nouveaux électeurs proviennent pour Jordan Bardella de Renaissance, des Républicains et de Debout la France (mais pas de Reconquête !) ; et pour Raphaël Glucksmann, du PCF, de Renaissance et des Écologistes (mais pas, pendant cette période, de La France insoumise).

Que conclure pour les résultats du 9 juin ? Des mouvements peuvent encore advenir, comme en 2019 avec la percée de Yannick Jadot, et l’Enquête électorale française permet d’éclairer le champ des possibles.

La participation, aujourd’hui estimée à 47%, peut passer la barre symbolique des 50%. Une partie des abstentionnistes est en effet susceptible de basculer vers le vote –notamment les 14% qui, sur une échelle de 0 à 10 (0 indiquant la certitude de ne pas voter et 10 la certitude de voter) choisissent de se placer à 9. 71% de ceux-là disent « s’intéresser à la politique » et 53% ont parlé de la campagne européenne avec leurs proches – c’est plus que la moyenne des Français. Si leur profil est proche de cette moyenne des Français, ils sont un peu plus nombreux chez les plus âgés, les plus diplômés, les plus aisés ; ils habitent davantage dans les villes moyennes ; ils se positionnent un peu plus à droite.

Les intentions de vote aujourd’hui exprimées peuvent aussi encore changer : 32% des électeurs déclarent en effet que leur choix « n’est pas définitif ». Qui pourrait alors être affecté par cette mobilité de la dernière ligne droite ? Il y a ce que l’on pourrait appeler une « tentation Glucksmann » chez les Écologistes : 55% d’entre eux sont encore indécis – ce sont eux les plus indécis – et, s’ils devaient changer d’avis, voteraient à 40% pour le candidat PS. Il y a une hésitation chez les électeurs Républicains, avec 48% d’indécis mais un second choix qui se divise à parts égales (31%) entre Renaissance et le RN.

Une fois encore, la qualité des campagnes électorales va donc peser – jusque dans la toute dernière ligne droite.

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