Santé mentale : dix grandes mesures pour une grande cause nationale

À l’occasion de la journée mondiale de la santé mentale, le 10 octobre, Chantal Jourdan, députée de l’Orne, Joël Aviragnet, député de la Haute-Garonne, et Antoine Pelissolo, chef de service du pôle de psychiatrie du CHU Henri Mondor de Créteil et secrétaire national à l’hôpital du Parti socialiste, proposent dans cette note dix mesures clés pour repenser notre système de santé mentale dans un contexte de dégradation de l’état de santé mentale des citoyens au sortir de la crise sanitaire et de détérioration de la prise en charge faute de moyens dédiés.

Synthèse des mesures clés

Alors que l’état de santé mentale des Françaises et Français se dégrade sévèrement, les feuilles de route du gouvernement se succèdent, sans résultats.

Dans ce contexte, les députés du groupe Socialistes et apparentés proposent une transformation radicale de la philosophie de notre système de santé mentale : analyser finement les pathologies et les besoins des patients pour construire des parcours de prise en charge, associant des équipes pluri-professionnelles, s’appuyant en priorité sur l’ambulatoire.

Pour réussir cette transformation, ils mettent dix mesures clés sur la table pour un « plan Marshall de la santé mentale ».

  1. En urgence, revaloriser les rémunérations des professionnels de la santé mentale, recréer des postes et de l’attractivité : augmenter massivement les rémunérations des professionnels, procéder à un plan massif d’embauche (augmenter d’au moins 20% les  effectifs d’internes, créer 5000 postes de psychologues, créer 5 postes par service au moins d’infirmiers de pratique avancée, recruter 5000 personnels supplémentaires dans les centres médico-psychologiques), répartir de manière plus juste les postes d’internes, remplacer le dispositif « MonPsy » par une convention de prise en charge négociée entre l’Assurance maladie et les psychologues.
  2. Construire pour la Nation une vision pluriannuelle de la santé mentale : construire une loi de programmation en santé mentale, votée tous les cinq ans, qui sanctuarise le budget de la santé mentale et définit les objectifs de santé mentale à atteindre et les moyens financiers, rattacher directement la Délégation à la santé mentale à la Première ministre et la rendre ainsi interministérielle, créer une Agence nationale pour la recherche, l’innovation et l’évaluation en santé mentale.
  3. Aller vers une organisation graduée et décloisonnée de l’offre de soins s’appuyant en priorité sur l’ambulatoire : lever les barrières entre la psychiatrie et la médecine générale, l’hôpital et l’ambulatoire, le sanitaire le médico-social et le social, ouvrir le secteur sur d’autres acteurs (Éducation nationale, Aide sociale à l’enfance, Protection judiciaire de la jeunesse, bailleurs sociaux, etc.), amplifier l’ambulatoire, consolider et financer suffisamment les conseils locaux de santé mentale et les programmes territoriaux de santé mentale, mettre au cœur de l’offre de soins les droits des usagers et des aidants, créer un service public territorial de la santé mentale.
  4. Mettre en cohérence le financement des acteurs de la santé mentale avec les nouvelles ambitions : augmenter les budgets d’au moins 4 milliards d’euros sur cinq ans, ouvrir la réflexion sur un système de financement des acteurs de santé mentale à plusieurs niveaux (populationnel, qualitatif, basé sur l’innovation, des actions pluri-sectorielles, etc.).
  5. Poursuivre l’objectif « zéro contention, zéro isolement » : à court terme, développer les formations aux prises en charge spécialisées et complexes, construire les plans de crise avec l’usager, expérimenter le contrôle des décisions de contention et d’isolement par un juge des libertés et de la détention qui serait un pair ; à long terme aller vers la fin de la contention grâce au renfort de professionnels et à la prévention.
  6. Avoir une attention particulière pour la santé mentale de l’enfant, de l’adolescent et de l’étudiant : créer au moins 3 postes universitaires en pédopsychiatrie dans chaque faculté de médecine spécialisés respectivement chez les bébés, les enfants et les adolescents, doubler le nombre d’étudiants formés à la pédopsychiatrie, rouvrir des lits d’hospitalisation de pédopsychiatrie, consacrer la pédopsychiatrie comme une spécialité à part entière, créer 15 000 postes de psychologues Éducation nationale, recruter des infirmiers et des assistants sociaux, déployer un programme massif de formation continue et d’accompagnement de la communauté éducative, créer un cours d’éducation à la santé mentale en classe de quatrième, développer les bureaux d’aide psychologique universitaire (BAPU), plus largement sensibiliser ces publics à ce que sont les émotions et à comment les gérer via un cours spécifique.
  7. Faire de la santé mentale des travailleurs une priorité : reconnaître l’épuisement professionnel et la perte de sens au travail comme maladies professionnelles, réarmer la médecine du travail en recréant des postes de psychologues du travail, déployer un plan national de formation à la prévention des troubles psychiques au travail avec un abondement public du Compte personnel de formation (CPF).
  8. Mieux prendre en charge le handicap psychique et les troubles du neurodéveloppement : créer au moins 20 000 solutions supplémentaires dans les lieux de vie et les services d’accompagnement adaptés au handicap psychique (notamment les Foyers d’accueil médicalisés – FAM –, les Maisons d’accueil spécialisées – MAS – et les Services d’accompagnement médico-social pour adultes handicapés – SAMSAH), structurer des parcours de rétablissement en favorisant les expériences d’ouverture dans la cité, soutenir la recherche sur les maladies psychiques.
  9. Répondre à l’éco-anxiété croissante de la population : former spécifiquement les professionnels à ce type de prise en charge, organiser des temps de détection de l’éco-anxiété dans les écoles, collèges, lycées, universités, et dans les milieux associatifs, construire des parcours spécifiques de prise en charge, aider à la reconversion professionnelle vers un métier en accord avec les valeurs écologiques du patient. 
  10. Développer la prévention et les interventions précoces : développer des consultations gratuites de prévention des troubles de santé mentale à plusieurs âges de la vie, plus largement banaliser un point sur la santé mentale lors de consultations de professionnels de santé formés pour cela, allouer des moyens suffisants au numéro national de prévention du suicide (le 3114), entretenir et réparer le lien social en développant la vie associative, en soutenant les activités en clubs sportifs, culturels, et en luttant contre l’isolement, notamment celui des personnes âgées.

Diagnostic : une détérioration alarmante de l’état de santé mentale des Françaises et Français, un système de prise en charge en rupture

L’état de santé mentale de la France connaît une grave détérioration

La santé mentale recoupe des problématiques aussi vastes qui vont de la souffrance psychosociale ordinaire jusqu’aux maladies psychiques avérées, incluant dès lors la dépression, les psychoses, les troubles liés à l’anxiété, les addictions, le suicide, les psychotraumatismes ou encore les troubles autistiques, etc. Elle prend des formes nouvelles avec le développement récent des souffrances au travail (burn-out, perte de sens, etc.) et l’émergence de nouveaux troubles comme l’éco-anxiété.

Sous ces différentes formes, elle concerne la vie de tous les citoyens ou de leurs proches :

Dans ce contexte, l’état de santé mentale des Françaises et Français s’est gravement détérioré depuis la crise sanitaire5Enquête CoviPrev, « Une enquête pour suivre l’évolution des comportements et de la santé mentale pendant l’épidémie de Covid-19 », Santé publique France, 11 janvier 2023..

En décembre 2022, selon l’enquête de Santé publique France :

  • 24,1% de la population française présentait un état anxieux, soit 11 points de plus par rapport au niveau avant l’épidémie de Covid-19 ;
  • 17,1% de la population française présentait un état dépressif, soit 7 points de plus par rapport au niveau avant l’épidémie de Covid-19 ;
  • et une personne sur dix avait des pensées suicidaires, soit 6 points de plus par rapport au niveau avant l’épidémie de Covid-19.

Cette détérioration de l’état de santé mentale est particulièrement avérée au sein de la population jeune : le nombre de passages annuels au moins une fois en court séjour à la suite d’une tentative de suicide ou d’actes d’automutilation a été multiplié par deux pour la classe d’âge 10-14 ans et connaît une progression à deux chiffres dans d’autres classes d’âge (15-20 ans par exemple)6Données PMSI – PSY fournies par l’ATIH.. Si 31% des Français disent ne pas se sentir suffisamment solides mentalement pour tout affronter dans leur vie quotidienne, c’est le cas de 40% des 25-34 ans. Cette fragilisation touche davantage les femmes (37%) que les hommes (24%)7Jérémie Peltier, Jérôme Fourquet, Grosse fatigue et épidémie de flemme : quand une partie des Français a mis les pouces, Fondation Jean-Jaurès, 11 novembre 2022.. Plus largement, on estime qu’entre deux et trois millions de jeunes Françaises et Français de moins de 19 ans souffrent de troubles de santé mentale.

Face à cette détérioration de l’état de santé mentale, nous ne sommes pas égaux : les personnes se situant dans les premiers déciles de revenus ont entre 1,5 et 3 fois plus de risque de souffrir de dépression, d’anxiété ou de problèmes de santé mentale que les personnes les plus riches8Matthew Ridley, Gautam Rao, Frank Schilbach et Vikram Patel, « Poverty, depression, and anxiety: Causal evidence and mechanisms », Science, vol. 370, n°6522, 2020..

À bout de souffle, notre système de santé mentale ne peut plus répondre à cette détérioration de l’état de santé mentale de la population

La santé mentale est le parent pauvre de notre système de santé, qui a lui-même été appauvri par des décennies de gestion comptable et un manque profond de considération des professionnels.

Depuis plusieurs décennies, les établissements de psychiatrie qui fonctionnent via une dotation annuelle de financement (essentiellement publics) subissent un sous-financement chronique : leur financement a augmenté de seulement 12,5%, soit deux fois moins que l’augmentation du budget national dédié à la santé (l’Objectif national de dépenses d’assurance maladie – ONDAM –, + 24%), elle-même insuffisante9Calculs effectués par les auteurs..

Résultat : l’offre de soins s’est dégradée. Ainsi :

  • 60% des lits hospitaliers psychiatriques ont été supprimés en quarante ans10Rapport de l’IGAS, 2017., ce qui crée un report de la demande de soins vers l’hôpital public, et notamment les services d’urgences, qui ne sont pas armés pour y répondre, sans ce que le développement de l’ambulatoire ne compense ces suppressions11La forte hausse des hospitalisations, de la fréquentation des services d’urgences, des soins sans consentement et des contentions traduisent cet effet de « report ». ;
  • certains services connaissent des taux d’occupation moyens supérieurs à 115 %12Caroline Fiat et Martine Wonner, Rapport d’information sur l’organisation de la santé mentale, Assemblée nationale, 2019. ;
  • la part des soins sans consentement13Définis en général comme rassemblant quatre critères : la présence de troubles mentaux, l’impossibilité pour le patient de consentir aux soins, la nécessité de soins immédiats et d’une surveillance médicale constante ou régulière et un risque grave d’atteinte à l’intégrité physique du malade. augmente de manière significative depuis au moins dix ans : de 13% entre 2012 et 2015 par exemple14Magali Coldefy, Sarah Fernandes, avec la collaboration de David Lapalus, « Les soins sans consentement en psychiatrie : bilan après quatre années de mise en œuvre de la loi du 5 juillet 2011 », Questions d’économie de la santé, n°222, février 2017..

En parallèle, l’offre de soins est devenue toujours plus inégale entre les territoires, créant ainsi de véritables déserts pour trouver un professionnel de la santé mentale. Cela est vrai pour les lits en hôpital psychiatrique : on compte ainsi 83,2 lits pour 100 000 habitants en Meurthe-et-Moselle contre 279 lits dans l’Allier.

C’est le cas notamment de la densité de psychiatres pour 100 000 habitants, dont les écarts varient de 1 à 4 entre les départements les mieux dotés (34 en Gironde, 36 dans les Bouches-du-Rhône et 37 dans le Rhône) et les moins bien dotés (9 psychiatres dans l’Aube et dans le Cantal15Observatoire-Place de la Santé, Mutualité française.).

Source : Drees, Répertoire partagé des professionnels de santé (RPPS) ; Insee / Traitements FNMF.

Le cas de l’Île-de-France illustre à lui tout seul les frontières élevées d’un département à un autre pour accéder à un professionnel de la santé mentale : Paris intramuros compte 1305 psychiatres libéraux contre 64 en Seine-Saint-Denis et 90 dans le Val-de-Marne16Atelier parisien d’urbanisme (APUR), Inégalités sociales et territoriales de santé dans le grand Paris. Volet 1 : offre de soins, mars 2023..

Ces inégalités territoriales sont tout aussi criantes concernant l’accès aux psychologues.

Source : Drees, Répertoire partagé des professionnels de santé (RPPS) ; Insee / Traitements FNMF.

Les causes de ce délitement de notre système de santé mentale, et notamment de ces pénuries massives de personnels, sont connues : salaires indignes, dégradation des conditions de travail, insuffisance de l’offre de formation conduisant mécaniquement à un vieillissement des professionnels en activité (à titre d’exemple dans dix ans, 50% des pédopsychiatres seront partis à la retraite17Cour des comptes, La pédopsychiatrie : un accès et une offre de soins à réorganiser, mars 2023..

Plus largement, la perte de sens se conjugue souvent à l’instabilité des équipes, au manque de pluridisciplinarité et à un management centré sur des objectifs chiffrés, déconnectés des besoins des patients. Dans ces conditions, le temps nécessaire à l’émergence des projets psychothérapeutiques est souvent annihilé.

Dans ce contexte, les augmentations de soins médicamenteux sont particulièrement inquiétantes, surtout pour les enfants, car elles reflètent l’insuffisance des moyens dédiées aux autres approches, basées sur la relation et donc la disponibilité des professionnels.

Ce délitement de notre système de santé mentale, profondément lié à un désinvestissement chronique de la puissance publique, est d’autant plus inexplicable que le coût total pour la société des troubles liés à la santé mentale était estimé pour l’année 2018 à 163 milliards d’euros18Charles Laidi, Laeticia Blampain-Segar, Ophélia Godin, Anne de Danne, Marion Leboyer, Isabelle Durand-Zaleski, The cost of mental health: Where do we stand in France ?, Organisation mondiale de la santé, 2023..

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Face à ce diagnostic sans appel, le gouvernement a pris des mesures trop tardives, trop insuffisantes

Depuis son arrivée au pouvoir en 2017, Emmanuel Macron n’a pas saisi l’urgence d’agir pour reconstruire notre système de santé mentale.

Les deux feuilles de route présentées depuis 2017 sont marquées par l’insuffisance des actions annoncées :

  • la première en 2018 contenait des mesures intéressantes comme la création d’une délégation ministérielle à la psychiatrie et à la santé mentale, ou encore des mesures sur la prévention, la réinsertion et les dispositifs de soins aigus, mais péchait par manque de vision d’ensemble de la santé mentale, et surtout n’a pas été suivie de moyens financiers suffisants ;
  • la seconde en 2021 a promis des financements importants (1,9 milliard d’euros) mais lissés sur cinq ans et a recyclé des mesures déjà annoncées auparavant (lors du Ségur de la santé notamment). Là aussi, les annonces étaient largement insuffisantes : création de 800 postes supplémentaires pour les centres de consultation publics, soit moins de 0,25 ETP (équivalent temps plein) par centre, création d’un numéro national de prévention du suicide, le 3114, mais insuffisamment doté en moyens (un appel sur quatre est resté sans réponse en 202119Le numéro national de prévention du suicide, Rapport d’activité, 2021., remboursement des consultations de psychologues mais sur prescription médicale (dispositif « MonPsy »).

Ce dernier dispositif est particulièrement critiquable sur plusieurs points.

Primo, la nécessité de se voir prescrire ces consultations par le médecin ne répond pas aux besoins et nie la spécificité et la pluralité des approches des psychologues.

Secundo, la limitation à huit consultations par an crée une rupture des soins pour les patients qui ont des besoins allant au-delà de ce nombre de consultations.

Tertio, le montant remboursé par l’Assurance maladie aux psychologues participant au dispositif « MonPsy » est largement insuffisant (30 euros). Ce montant nie toutes les compétences des psychologues en matière de connaissance des phénomènes psychiques et le temps nécessaire pour les accompagnements. Résultat : seuls 2200 psychologues participent à « MonPsy » sur 30 400, soit 7% des professionnels20Manifestepsy, Construire aujourd’hui le futur des psychologues cliniciens psychothérapeutes en France, propositions pour une nouvelle place des psychologues cliniciens dans le système de santé, rapport, 2023., rapport Ainsi, seuls 0,13% de la population française a pu bénéficier de ce dispositif21Ibid., qui est donc loin de répondre à la dégradation de l’état de santé mentale de notre pays, décrite supra.

Dix mesures clés pour répondre aux urgences et reconstruire à long terme notre système de santé mentale

En urgence, revaloriser les rémunérations des professionnels de la santé mentale, recréer des postes et de l’attractivité

Alors que la demande de soins ne cesse d’augmenter, et que l’offre ne cesse de se dégrader, il est urgent de rebâtir notre système de santé mentale en misant sur sa première richesse : ses professionnels.

Il s’agit dès lors de lutter contre les départs des professionnels, et de rendre à nouveau attractives toutes les professions de la santé mentale, en premier lieu celles de la psychiatrie publique que nous souhaitons particulièrement soutenir.

Pour gagner ce combat, nous proposons d’augmenter massivement les rémunérations ainsi que les tarifs remboursés par l’Assurance maladie et ce, afin de compenser les décennies de gel budgétaire et l’inflation récente.

Nous proposons en outre un plan massif d’embauche22Les calculs qui suivent se fondent sur des hypothèses de ratios de professionnels de la santé mentale par nombre de patients.. À ce titre, nous estimons que les effectifs d’internes en psychiatrie doivent être augmentés d’au moins 20%, que 5000 postes de psychologues doivent être créés et que le nombre d’infirmiers de pratique avancée (IPA) exerçant en psychiatrie doit être nettement augmenté pour atteindre au moins cinq postes par service23Selon l’enquête RPPS/Adeli, en 2018, la France comptait 15 388 psychiatres, soit 12,5% des spécialistes, dont 7735 internes exerçant en milieu hospitalier. Selon l’Insee (qui s’appuie sur les enquêtes de la Drees, la RPPS et le Répertoire Adeli), le recensement du 1er janvier 2022 dénombrait 70 790 psychologues en France.. En outre, nous proposons le recrutement de 5000 personnels supplémentaires (médecins, infirmiers, psychologues) dans les centres médico-psychologiques (CMP) de manière à réduire les délais de consultation, qui explosent aujourd’hui. Enfin, les métiers de travailleur social, d’orthophoniste, de médiateur de santé pairs seront à revaloriser tant d’un point de vue des salaires que des conditions de travail.

En parallèle de cette revalorisation financière et de ces augmentations de postes, nous proposons de redonner de l’attractivité aux métiers de la santé mentale.

L’amélioration des parcours de carrière et des conditions de travail est également un facteur-clé d’attractivité des métiers de la santé mentale.

À ce titre, des grades de psychologues à responsabilité dans les services pourront être créés, associés à une augmentation de salaire24Ces augmentations de salaire devront d’une part rattraper le gel constaté depuis les années 2000 et, d’autre part, l’inflation post-Covid-19.. Des fonctions de coordination de soins psychothérapeutiques peuvent également être envisagées. Les soins intensifs et complexes peuvent également être revalorisés via des formations spécifiques, avec bonification financière, ce qui réduira en parallèle le recours à la contention et à l’isolement. 

Devant la pénurie aggravée dans certains territoires de professionnels, nous proposons également de mettre temporairement en oeuvre une régulation de l’installation et de l’activité en libéral, comme nous le proposons par ailleurs pour les médecins, chirurgiens-dentistes et sages-femmes25Voir par exemple la proposition de loi du groupe de travail transpartisan créé et piloté par Guillaume Garot..

Pour la psychiatrie publique de secteur, des mutualisations pourraient être pensées. Concrètement, cela pourrait se traduire par une répartition géographique plus équilibrée des postes d’internes, un parrainage obligatoire entre centres-pivots et centres de proximité en zones tendues pour mutualiser les pratiques.

Des pratiques observées à l’étranger peuvent également nous inspirer : ainsi au Canada, en partenariat avec les facultés de psychologie, les étudiants en M1 et M2 ouvrent des consultations gratuites, ce qui pourrait être fait sous la supervision de psychologues expérimentés.

Concernant la profession de psychologue et l’accès à leur consultation, nous proposons – comme de nombreux professionnels – la fin du dispositif « MonPsy » au profit d’une convention de prise en charge construite avec l’Assurance maladie, et non imposée par le gouvernement, qui serait adaptée aux besoins des patients et respectueuse des professionnels. 

Si ces mesures d’urgence peuvent sembler coûteuses, nous sommes convaincus qu’à long terme, le sauvetage de notre système de santé mentale ne pourra faire l’économie d’un tel investissement massif de la Nation.

Construire pour la Nation une vision pluriannuelle de la santé mentale

Aujourd’hui, notre système de santé mentale manque cruellement d’une vision à long terme de la santé mentale englobant tous ses aspects médicaux, sociaux et éthiques.

Résultat : il n’y a pas de stratégie en termes de choix scientifiques, de ressources humaines et financières, etc. Qui peut dire par exemple quelle est la stratégie à cinq ans pour soigner le nombre croissant des souffrances au travail, et avec quels moyens ? Personne.

Comme c’est déjà le cas pour la défense, l’intérieur et la justice, nous proposons donc de construire une loi de programmation en santé mentale, votée tous les cinq ans, qui définirait les objectifs de santé mentale à atteindre (réduction du nombre de suicides, des soins sans consentement et de la pratique de la contention, fixation de délais maximum de consultation, création de postes par spécialité, ratio de présence de professionnels au chevet des patients, prise en charge financière des soins, etc.) et les moyens – notamment financiers – à déployer pour les atteindre26Cette proposition, ainsi que celle sur l’Agence nationale pour la recherche, l’innovation et l’évaluation en santé mentale, est notamment issue du rapport de Boris Nicolle, Réinvestir la psychiatrie : une urgence sanitaire, un défi démocratique, Fondation Jean-Jaurès, 6 mai 2022..

Cette loi est un préalable aux réformes sectorielles, dont celles de la psychiatrie. Elle doit être construite avec l’ensemble des acteurs concernés (professionnels de santé, usagers, proches, ministères, etc.).

Elle pourrait contenir un volet propre à la santé mentale des enfants et des adolescents, d’une part, et des personnes âgées, d’autre part. Elle pourrait déterminer la stratégie de la Nation sur des impensés comme la santé mentale des personnes migrantes ou encore celles des personnes détenues en prison.

Une fois adoptée, cette loi de programmation ne pourra être mise en œuvre avec l’organisation ministérielle actuelle, qui freine la coopération entre acteurs.

Pour y remédier, nous proposons que la Délégation à la santé mentale devienne interministérielle et soit rattachée au Premier ministre27Boris Nicolle, Réinvestir la psychiatrie : une urgence sanitaire, un défi démocratique, Fondation Jean-Jaurès, 6 mai 2022.. Nous proposons également d’infuser une culture de l’évaluation en créant notamment une Agence nationale pour la recherche, l’innovation et l’évaluation en santé mentale, qui sera une instance de dialogue et d’expertise.

Aller vers une organisation graduée et décloisonnée de l’offre de soins, s’appuyant en priorité sur l’ambulatoire

L’organisation de notre système de santé mentale est aujourd’hui très cloisonnée et peu graduée, à l’image de ses outils de planification :

Source : Rapport de l’IGAS, Organisation et fonctionnement du dispositif de soins psychiatriques, soixante ans après la circulaire du 15 mars 1960, novembre 2017.

La future organisation devrait tout d’abord garantir la gradation des réponses en fonction des besoins – qu’ils correspondent à des soins de proximité ou à des prises en charge plus spécialisées.

Elle devrait également promouvoir le décloisonnement des filières, notamment entre la psychiatrie et la médecine générale, l’hôpital et l’ambulatoire, entre le sanitaire, le médico-social et le social, etc. Dans ce cadre, nous considérons que le secteur de santé mentale28Mis en place dans les années 1960, son principe essentiel est l’accueil et la continuité des soins dans la vie commune. Il doit demeurer le socle de l’organisation.. Il doit donc être renforcé et être entièrement articulé avec les autres intervenants et ouvert sur d’autres acteurs comme l’Éducation nationale, l’Aide sociale à l’enfance, les bailleurs sociaux, la Protection judiciaire de la jeunesse, Pôle Emploi ou encore les missions locales.

Dans cette offre graduée, l’ambulatoire est amplifié et soutenu comme une solution d’accompagnement parmi l’ensemble des dispositifs possibles. Développer l’ambulatoire ne doit pas être un moyen de réduire les coûts, mais une opportunité d’avoir une prise en charge plus efficace et plus durable dans l’objectif de rétablissement du patient. En effet, une prise en charge efficace et qualitative en ambulatoire permet le plus souvent d’éviter à terme une hospitalisation de longue durée. Le financement de l’accompagnement d’une personne en ambulatoire doit ainsi être le même que l’accompagnement d’une personne hospitalisée.

Deux outils nous semblent pertinents pour mettre en musique cette organisation graduée et décloisonnée : les Conseils locaux de santé mentale (CLSM) au niveau des villes ou intercommunalités, et les Programmes territoriaux de santé mentale (PTSM) au niveau des départements. Leur consolidation et leur financement sont essentiels29Boris Nicolle, Réinvestir la psychiatrie: une urgence sanitaire, un défi démocratique, Fondation Jean-Jaurès, 6 mai 2022..

À plus long terme, lorsque notamment l’augmentation du nombre de professionnels le permettra, nous proposons de nous inspirer d’expériences locales qui ont fait leurs preuves – comme l’Établissement public de santé mentale de Lille Métropole ou encore le Centre hospitalier de Jonzac – pour faire des droits des usagers et des aidants un pilier de l’organisation des acteurs.

Concrètement, il s’agit :

  • d’affirmer les droits et la pleine citoyenneté des personnes usagères, en cohérence avec la Convention Internationale de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées (CIDPH) ;
  • de lutter contre la stigmatisation et la discrimination des personnes confrontées à une souffrance, à un trouble ou à une situation de handicap d’ordre psychique ;
  • de promouvoir et d’ouvrir les services de santé mentale au coeur de la vie sociale ;
  • de faire participer les usagers du système de santé mentale, et les proches dans l’amélioration de la qualité des services et le traitement de la maladie.

Nous proposons que cette offre décloisonnée et graduée soit mise en œuvre par un service public territorial de la santé mentale, associant l’ensemble des modes d’exercice, et des types d’établissement, avec une autonomie laissée au territoire et à ses acteurs, sur le modèle belge. Ce service, sous le pilotage direct de l’ARS en coordination avec les départements sur les volets relevant de leurs compétences, construirait les parcours en santé mentale et les offres, en associant fortement les professionnels, les représentants de personnes et les collectivités locales (communes, intercommunalités, conseils locaux de santé mentale). Il serait le guichet unique des établissements et des professionnels, concernant notamment leur financement.

Mettre en cohérence le financement des acteurs de la santé mentale avec les nouvelles ambitions

L’enjeu du financement soulève au moins deux questions :

  • le montant de l’enveloppe, qui nécessitera un effort majeur pour compenser les retards accumulés depuis des décennies et rénover des cadres de travail très souvent vétustes. Nous estimons qu’une augmentation des budgets d’au moins 4 milliards d’euros sur cinq ans est nécessaire, dont 3,2 pour les seuls établissements publics30Qui représentent 80% de l’offre de soins., ce qui représente le double de la hausse engagée par le gouvernement31Nos calculs reposent ici sur le rattrapage des sous-dotations chroniques depuis les années 2000, de la forte inflation depuis 2022, ainsi que des crédits nécessaires au réinvestissement.. En parallèle, les acteurs tels que l’Éducation nationale, l’Aide sociale à l’enfance, la justice, les services de PMI, de la petite enfance verront également leur budget augmenter pour mieux faire face aux besoins dans leur périmètre respectif ;
  • la méthode de ventilation de l’enveloppe, qui doit être plus transparente et mieux couvrir les charges que ne le fait le modèle en cours de mise en œuvre. À plus long terme, nous proposons de réduire la part des financements alloués via des appels à projets, sources de procédures lourdes et chronophages pour les professionnels. Plus largement, ces financements qui exigent des réponses à des appels à projet bénéficient souvent à des filières spécialisées qui ont le mérite d’exister, mais entraînent souvent des difficultés d’accès aux soins dans les zones peu denses. Par ailleurs, ces financements grèvent les dotations globales qui sont nécessaires à l’accueil généraliste en psychiatrie et ne sont généralement pas présentés comme pérennes, ce qui empêche le recrutement de personnels titulaires et la construction de projets durables.

Nous souhaitons également ouvrir la réflexion sur la réforme du mode de financement récemment mise en œuvre par le gouvernement.

En effet, certains points de ce modèle ne nous semblent pas satisfaisants : la prise en compte pour une part trop faible (9%) des critères socio-économiques dans la répartition de la dotation populationnelle, l’absence d’encouragement aux coopérations entre professionnels, la non-prise en compte de missions pourtant essentielles, comme la psychiatrie de liaison dans les hôpitaux généraux et la psychiatrie d’urgence, et un financement insuffisant des missions de secteurs les plus lourdes comme les hospitalisations de crise et le suivi des pathologies chroniques complexes (visites à domicile, « aller vers », réhabilitation, etc.).

Poursuivre l’objectif « zéro contention, zéro isolement »

Les nombreuses auditions que nous avons menées ont confirmé notre conviction première : la fin de la contention et de l’isolement que nous appelons de nos vœux ne pourra se faire qu’avec un renfort massif de professionnels de la santé mentale et un développement de la prévention.

Avant l’arrivée de ce renfort que nous proposons supra dans ce plan, plusieurs mesures peuvent néanmoins être mises en oeuvre pour réduire la contention et l’isolement, tels que le renforcement en soignants des unités recevant des patients en crise et la création d’unités de soins aigus recevant un plus petit nombre de patients, l’expérimentation du contrôle des décisions de contention et d’isolement par un juge des libertés et de la détention qui serait un pair (comme c’est déjà le cas pour les prud’hommes), le soutien et le financement de formations aux prises en charge spécialisées et complexes, l’acculturation des professionnels aux pratiques de la bientraitance, etc.

Avoir une attention particulière pour la santé mentale de l’enfant, de l’adolescent et de l’étudiant

Directement liée à une pénurie de spécialistes encore plus prononcée comparée à l’ensemble des métiers de la santé mentale322 à 3 millions de jeunes Françaises et Français de moins de 19 ans souffrent de troubles mentaux, mais seulement 700 pédopsychiatres exercent en France, occasionnant des délais de prise en charge de deux ans dans certains territoires., la dégradation de la santé mentale des enfants et des adolescents appelle une réponse rapide et forte.

Concernant tout d’abord la pédopsychiatrie, nous mettons sur la table plusieurs mesures :

  • créer au moins 3 postes universitaires en pédopsychiatrie dans chaque faculté de médecine spécialisés respectivement chez les bébés, les enfants et les adolescents, et ce, afin de favoriser la formation de médecins dans chaque spécialité, à plus long terme doubler le nombre d’étudiants formés à la pédopsychiatrie comme le préconise la Cour des comptes33Cour des comptes, La pédopsychiatrie. Un accès et une offre de soins à réorganiser, rapport, mars 2023. ;
  • ouvrir des lits d’hospitalisation de pédopsychiatrie, grâce au renfort de professionnels proposé dans nos mesures d’urgence ;
  • renforcer la coopération entre les services de pédopsychiatrie, de pédiatrie, de l’Aide sociale à l’enfance, de l’Éducation nationale et du médico-social ;
  • consacrer la pédopsychiatrie comme une spécialité à part entière34Comme l’ont fait la quasi-totalité de nos voisins européens., et tout faire pour en augmenter les effectifs, sans en retirer à la psychiatrie des adultes.

Au-delà de la pédopsychiatrie, c’est l’ensemble des acteurs de la santé mentale qu’il faut renforcer. La création de 15 000 postes de psychologues Éducation nationale35Les calculs qui suivent se fondent sur des hypothèses de ratio de professionnels de la santé mentale par nombre de patients., de psychologues cliniciens, le recrutement d’infirmiers et d’assistants sociaux, le soutien aux services de PMI, aux maisons de l’adolescent et aux CMP, ou encore le développement de l’aide à la parentalité y concourront.

Enfin, le temps est venu d’un véritable tournant structurel dans l’organisation de la santé à l’école mettant réellement en son cœur et ayant comme véritable priorité la prévention. Chaque établissement, chaque élève doit trouver l’écoute et la réponse qu’il cherche au sein d’un véritable service de santé scolaire. Nous proposons ainsi de revaloriser les rémunérations (médecins, infirmiers, psychologues), d’investir massivement dans l’embauche de personnels, en premier lieu de psychologues, d’assistants sociaux et d’infirmiers. Ils seront également garants des actions de prévention et des formations destinées aux élèves ainsi qu’à l’ensemble de la communauté éducative. Nous proposons également d’aller vers un fonctionnement décloisonné de la médecine scolaire et un pilotage territorial rénové.

Plus largement, nous appuyons la proposition de la Cour des comptes d’intégrer au PTSM un volet pour la psychiatrie infantojuvénile36Ibid.. Nous proposons aussi de mettre en place un programme massif de formation continue et d’accompagnement de la communauté éducative et de la petite enfance37Corps enseignant, ATSEM, assistants d’éducation, AESH et auxiliaires de puériculture. : formations à l’accueil des enfants en situation de handicap, mais aussi à la détection de troubles mentaux, ou encore aux premiers gestes de secours en santé mentale.

Nous proposons également d’avoir une action ciblée sur les enfants et les adolescents en situation de vulnérabilité accrue. Nous pensons ici aux enfants de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) et de la Protection judiciaire de la jeunesse, aux enfants vivant dans des familles aux revenus précaires et aux enfants migrants. 

C’est plus largement le rapport de l’enfant à l’émotion que nous proposons d’infléchir. Inspirons-nous ici de l’Australie où les écoles favorisent le développement psychique de l’enfant, où les élèves sont sensibilisés dès l’école primaire à ce que sont les émotions et à comment les gérer. Résultat : deux enfants sur trois ont vu leur bien-être s’améliorer38Dianne Vella-Brodrick, Jessica Frisina, Tan-Chyuan Chin et Mohsen Joshanloo, « Tracking the Effects of Positive Education around the World », Handbook of Positive Psychology in Schools, Routledge, 2022.. Nous proposons donc de créer un cours spécifique d’éducation à la santé mentale dans le premier et le second degré, à relier au cours d’éducation à la vie affective et sexuelle. Enfin, des bilans de santé mentale pourraient être intégrés dans les examens médicaux obligatoires au cours de la scolarité et à l’entrée dans l’enseignement supérieur.

Enfin, chaque étudiant devrait pouvoir bénéficier d’un suivi concernant sa santé au sein des Services de santé étudiante (SSE) ainsi que dans les BAPU qui devront être développés sur l’ensemble du territoire universitaire.

Faire de la santé mentale des travailleurs une priorité

Comme mentionné supra, les troubles liés à la santé mentale représentent la première source d’arrêt de travail prolongé. Ces troubles connaissent une croissance exponentielle : en 2021, 1600 affections psychiques ont été reconnues au titre des maladies professionnelles, soit dix-sept fois plus qu’il y a dix ans39Rapport d’évaluation des politiques de sécurité sociale, Annexe 1 – Accidents du travail – maladies professionnelles, Projet de loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale pour 2022. !

Travailler urgemment à la santé mentale des travailleurs est donc autant un enjeu de santé publique que de protection de la main-d’œuvre.

Nous proposons tout d’abord d’améliorer la prise en charge de ces troubles en :

  • reconnaissant le burn-out (syndrome d’épuisement professionnel) et le brown-out (perte de sens au travail) comme maladies professionnelles, le cadre juridique actuel limitant très fortement une telle reconnaissance au bénéfice des travailleurs ;
  • créant des consultations visant spécifiquement la souffrance au travail ;
  • réarmant la médecine du travail et en recréant des postes de psychologues du travail ;
  • améliorant la prévention et la prise en charge des risques psycho-sociaux ;
  • développant les études sur la relation entre les organisations du travail et les effets sur la santé mentale.

En outre, nous proposons de travailler à la prévention de ces troubles, notamment en déployant, sous l’égide de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT), un plan national de formation à la prévention des troubles psychiques au travail et à l’impact de l’organisation du travail sur l’état de santé des travailleurs ; avec un abondement spécifique par la puissance publique du Compte personnel de formation (CPF).

Mieux prendre en charge le handicap psychique et les troubles du neurodéveloppement

Le handicap psychique est aujourd’hui le parent pauvre de notre système de santé mentale, lui-même à bout de souffle.

Là encore, nous proposons que l’effort de la Nation soit massif et préconisons de :

  • après un état des lieux global de la situation40Qui permettrait d’affiner le nombre de places nécessaires., créer au moins 20 000 solutions supplémentaires de prise en charge notamment dans les lieux de vie et les services d’accompagnement adaptés au handicap psychique (notamment les FAM, les MAS, et SAMSAH) pour mettre fin à l’absence de solution d’hébergement pour un trop grand nombre d’enfants, d’adolescents et d’adultes et ainsi mettre fin à des hospitalisations inadaptées de très longue durée ;
  • structurer des parcours de rétablissement à destination des personnes concernées par des troubles psychiques, parcours établis selon la volonté de ces dernières ; chercher plus largement les moyens de parvenir à l’intégration dans la cité ;
  • créer des orientations transitoires urgentes, pris sur le fondement de certificats médicaux attestant de situations urgentes, et ce, afin de répondre aux délais trop longs d’orientation de la part des Maisons départementales pour les personnes handicapées (MDPH) ;
  • accompagner de façon plus sécurisée les parcours d’inclusion des enfants à l’école ;
  • soutenir la recherche sur les maladies psychiques, sous toutes ses approches.

Outre ce renforcement de l’offre médico-sociale privilégiant les services d’intensité variable dans la communauté et des accueils résidentiels conformes à la Convention internationale des droits des personnes handicapées de l’ONU, un nouvel élan doit être donné aux dispositifs d’entraide par les pairs.

Le doublement des groupes d’entraide mutuelle (GEM) sur cinq ans est atteignable avec une revalorisation de leur financement par la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie à hauteur de 100 000 euros (versus environ 80 000 euros à ce jour).

En outre, la création de 5 à 7 clubhouses41Les clubhouses sont des lieux d’entraide et d’activité de jour, non médicalisé. Ils sont gérés intégralement par les personnes vivant avec un trouble psychique, en coopération avec les équipes salariées, dans un esprit de bienveillance. supplémentaires notamment dans des zones moins urbaines, par exemple avec des antennes en zone plus rurale, est souhaitable eu égard à l’efficacité démontrée de ces dispositifs pour la réhabilitation sociale des personnes, notamment via le réentraînement à l’emploi. Une dotation nationale supplémentaire de 1,5 million d’euros sera alors nécessaire42En appliquant le montant fixé par l’État pour les clubhouses existants de 250 000 euros par clubhouse..

Enfin, l’efficacité de l’intégration de médiateurs-pairs en santé mentale est démontrée tant au niveau international qu’en France. Cela plaide pour un passage à l’échelle du programme développé en France tant dans le secteur sanitaire que médico-social avec une cible de 300 médiateurs pairs d’ici cinq ans (contre 150 aujourd’hui).

Ces mesures sont naturellement complémentaires de la revalorisation à tous points (salaires, statuts, formations, carrières et horaires) des métiers de l’accompagnement du handicap (AESH notamment), une revalorisation que nous proposons supra.

Répondre à l’éco-anxiété croissante de la population

Face à l’inaction climatique, une part croissante de la population souffre d’un trouble psychique nouveau : « l’éco-anxiété », c’est-à-dire l’anxiété liée au changement climatique. Elle toucherait jusqu’à 45% des jeunes en France, selon une étude de la revue The Lancet43Elizabeth Marks, Caroline Hickman et al., Young People’s Voices on Climate Anxiety, Government Betrayal and Moral Injury: A Global Phenomenon, janvier 2021.. Il s’agit là d’états de détresse d’un genre nouveau, car ils s’inscrivent dans une double réalité incontestable, notamment pour les plus jeunes générations : des perspectives d’avenir très inquiétantes concernant l’appauvrissement des ressources indispensables à la vie et les perturbations environnementales associées au réchauffement climatique, d’une part, et, d’autre part, un sentiment d’impuissance et de colère face à l’inaction généralement constatée44Marie Caillaud, Rémi Lauwerier et Théo Verdier, Dans la tête des éco-anxieux. Une génération face au dérèglement climatique, Fondation Jean-Jaurès, 25 octobre 2022..

Ces détresses existentielles peuvent se compliquer avec des troubles psychiques classiques (troubles anxieux et dépressifs surtout), nécessitant un diagnostic et des soins, et des troubles psychosociaux devant interpeller les pouvoirs publics sur les actions collectives à mener. 

Outre la plus qu’urgente bifurcation écologique que les députés de notre groupe défendent et qui a fait l’objet de propositions concrètes de notre part45Voir par exemple nos positions sur les projets de loi relatifs à l’accélération du développement des énergies renouvelables, à l’industrie verte ou encore à la zéro artificialisation nette des sols., la prise en charge de ce nouveau type de trouble psychique appelle des réponses spécifiques : sensibiliser et former spécifiquement les professionnels à ce type de prise en charge, organiser des temps de détection de l’éco-anxiété dans les écoles, collèges, lycées, universités mais aussi dans les milieux militants (qui sont les environnements les plus touchés) et associatifs.

Plus largement, l’éco-anxiété doit nous interpeller et déboucher sur une réflexion collective portant sur le développement de politiques publiques de proximité, de modes de vie, de nouveaux métiers permettant de redonner du sens, de l’entraide, etc. 

Développer la prévention et les interventions précoces

Devant l’ampleur des besoins, une réflexion sur la santé mentale ne peut faire l’économie de propositions pour développer la prévention. Comme pour l’ensemble du système de santé, celle-ci est quasi inexistante face à une logique essentiellement curative, et nous ne pouvons que le déplorer.

Nous proposons donc d’y consacrer un effort majeur. Nous mettons sur la table plusieurs propositions concrètes :

  • développer/expérimenter des consultations gratuites de prévention des troubles de santé mentale à plusieurs âges de la vie ; plus largement banaliser un point sur la santé mentale lors de consultations de professionnels de santé formés pour cela ;
  • financer et systématiser les actions de détection et de prévention des pathologies psychiques chez l’adolescent et le jeune adulte en soins primaires coordonnés, en s’appuyant sur les maisons de santé pluridisciplinaires et les communautés professionnelles territoriales de santé via des financements forfaitaires de l’Assurance maladie ;
  • développer les équipes d’interventions précoces et intensives, en lien étroit avec les filières hospitalières et médico-sociales pour intervenir tôt et de façon adaptée auprès des jeunes présentant une psychose débutante46Au sens des données probantes DSM-V et CIM-11/.
  • développer dans chaque territoire (départemental et au niveau du bassin de vie) des équipes d’interventions précoces et intensives pour les enfants présentant un trouble grave et persistant du neurodéveloppement (TSA notamment) ;
  • entretenir et réparer le lien social, comme nous y invitent une vingtaine de professionnels de la santé mentale dans une tribune récente47 Tribune collective, « Nous, acteurs de la santé mentale, appelons à faire du lien social une grande cause nationale », Le Monde, 8 juillet 2023., en développant la vie associative, en revivifiant la vie sociale dans les zones périurbaines et rurales, en soutenant les activités en clubs sportifs, culturels dont le bien-fait pour la santé mentale est démontré, en luttant contre l’isolement, notamment celui des personnes âgées ;
  • réinvestir le champ de la prévention en favorisant le travail hors les murs, avec des moyens renforcés ;
  • élargir les missions des services de santé au travail au repérage précoce des facteurs de risque, comme le propose la Cour des comptes48Cour des comptes, La politique de prévention en santé, rapport, novembre 2021. ;
  • poursuivre et étendre la prévention contre les conduites addictives, avec ou sans produit, en luttant plus efficacement contre l’impact des lobbys de l’alcool et du tabac, avec l’objectif de parvenir rapidement aux premières générations sans tabac et en promouvant plus l’usage de la cigarette électronique comme substitution ;
  • massifier le dispositif de sentinelle en prévention du suicide, et allouer des moyens suffisants au numéro national de prévention du suicide (le 3114).

Plus largement, nous invitons à réfléchir à une remise en cause de nos modes de vie structurés sur « le toujours plus, le toujours plus performant ». L’évolution d’une société précédant l’évolution de son état psychique, il est nécessaire de transformer ces modes de vie, qui produisent massivement des troubles en santé mentale, comme le stress, des addictions diverses, de l’éco-anxiété, etc.


Structures/professionnels auditionnés
Fédération Santé mentale France
Observatoire Santé mentale, vulnérabilités et sociétés (ORSPERE SAMDARRA)
Association des jeunes psychiatres et des jeunes addictologues (AJPJA)
Association des établissements du service public de santé mentale (AdESM)
Union syndicale de la psychiatrie (USPSY)
Collège national des universitaires de psychiatrie (CNUP)
Syndicat national des psychiatres privés (SNPP)
Groupe de réflexion Initiative psychiatrie
Association des psychiatres de secteur infanto-juvénile
Collectif Manifestepsy
Association des ITEP et de leurs réseaux (AIRe)
Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques (UNAFAM)
Conférence des présidents de commission médicale d’établissement (CME) de centres hospitaliers spécialisés (CHS)
Établissement public de santé mentale Lille Métropole
Pôle de psychiatrie adulte – Centre hospitalier de Jonzac
Établissement public de santé mentale (EPSM) de la Guadeloupe
Boris Nicolle, psychiatre et auteur du rapport Réinvestir la psychiatrie: une urgence sanitaire, un défi démocratique (Fondation Jean-Jaurès, 6 mai 2022)
Olivier Dubois, médecin psychiatre et président du directoire des thermes de Saujon
Maxime Rafales, psychologue en fonction publique hospitalière
Fédération CFDT santé sociaux

 

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