En 2018, le droit d’avorter est toujours une lutte !

À l’approche du référendum sur le droit à l’avortement en Irlande, le 25 mai, Véronique Séhier, co-présidente du Planning familial, fait le point sur le droit à l’avortement et l’accès à la contraception dans le monde. Condition essentielle pour l’autonomie des femmes et l’égalité entre les femmes et les hommes, le droit à l’avortement reste interdit dans de nombreux pays dans le monde et menacé dans les pays où il est légal. Véronique Séhier rappelle pourtant qu’il s’agit bien de la santé des femmes dont il est question: une femme meurt toutes les 9 minutes d’un avortement clandestin dans le monde.

Ce droit est une condition essentielle de l’autonomie des femmes et de l’égalité entre les femmes et les hommes, au même titre que l’accès à la contraception ou à une éducation à la sexualité. Chaque femme, où qu’elle soit, doit pouvoir choisir le nombre d’enfants qu’elle veut, si elle en veut, et à quel rythme.

Selon le rapport du Fonds des Nations unies pour la population (FNUAP) publié en 2017, « chaque année, dans les pays en développement, le manque d’accès à des services de planification familiale entraîne 89 millions de naissances non planifiées et 48 millions d’avortements. Selon le rapport, non seulement cette situation met la santé des femmes en péril, mais elle limite également leur capacité à entrer sur le marché du travail ou à y rester, et à devenir indépendantes financièrement ».

Malgré l’engagement des États, pris à la Conférence du Caire en 1994, d’assurer la mise en place de services de santé reproductive avant 2015, on est encore très loin du compte, même si de nombreux progrès ont été réalisés. C’est particulièrement vrai pour les femmes en situation de pauvreté, les femmes vivant dans le monde rural, les adolescentes et les jeunes femmes non mariées.

225 millions de femmes sont dépourvues d’accès à la contraception. 300 000 femmes meurent de complications liées à la grossesse et à l’accouchement. Une femme meurt toutes les 9 minutes d’un avortement clandestin. Environ 25 millions avortements à risque ont lieu dans le monde chaque année, la plupart dans les pays en développement. Sur ce chiffre, 8 millions d’entre eux ont été pratiqués dans des conditions dangereuses ou très risquées.

La sexualité des jeunes demeure un sujet tabou dans de nombreux pays, et cela constitue un frein majeur à la prise en compte de leurs besoins et au respect de leurs droits sexuels et reproductifs. D’après les Nations unies, « les pays en développement abritent 89% des jeunes de 10 à 24 ans du monde entier. D’ici 2020, ils rassembleront les 90% de la population mondiale. Ces jeunes vivent dans des états fragiles, souvent dans la grande pauvreté ». L’enjeu est de taille !

Plus de 2 millions d’adolescent.e.s vivent avec le VIH, dont 56% de filles. La planification familiale est le plus souvent réservée aux couples mariés. Or les besoins non satisfaits en contraception sont deux fois plus importants chez les adolescentes sexuellement actives que chez les femmes mariées : 12,8 millions d’adolescentes ne bénéficient pas des services de planification familiale dont elles ont besoin, selon un rapport du FNUAP de 2017. 50% des grossesses d’adolescentes de 15 à 19 ans sont non prévues et 50% d’entre elles finissent par un avortement, dont les deux tiers dans des pays où l’avortement est interdit. Trois millions recourent chaque année à un avortement dangereux pour leur santé et leur vie. Les complications de la grossesse et de l’accouchement sont la deuxième cause de décès pour les jeunes filles âgées de 15 à 19 ans dans le monde.

Devant ces blocages, la société civile joue un rôle essentiel pour faire avancer la loi et donner accès aux services et à un avortement sûr et légal.

En Amérique latine, où seul l’Urugay a une législation non restrictive, de nombreux mouvements de femmes s’organisent à la fois pour mettre fin aux violences contre les femmes (« Ni Una Menos ») et pour le droit à l’avortement. Ainsi, les Argentines ont réussi à lever un premier blocage, et un projet de loi actuellement en discussion sera soumis au vote du Congrès en juin prochain.

En Europe, les Irlandaises ont enfin obtenu un référendum qui aura lieu le 25 mai : il a pour objet de supprimer le huitième amendement de la Constitution qui criminalise l’avortement en mettant à égalité la femme enceinte et l’enfant à naître. La mobilisation au sein du mouvement « Together for Yes » est forte, et les soutiens importants, mais ils se heurtent à une opposition active dans un pays traditionnellement catholique. Si le «oui» l’emporte, l’Irlande pourrait désormais garantir à ses citoyennes, sans restriction, un droit à l’avortement jusqu’à la douzième semaine de grossesse.

Même si entre 2000 et 2017, 33 pays ont élargi les circonstances dans lesquelles l’avortement est légalement admis, ce droit reste toujours un droit à part, jamais totalement légitime, et les services ne sont pas toujours mis en place ou accessibles !

Les groupes anti-avortement sont à l’œuvre partout dans le monde. Leur action est internationale : en défendant un soi-disant droit à la vie pour « l’enfant à naître », au mépris de la vie et de la santé des femmes, ils tissent une toile entre différents courants conservateurs, ultra-conservateurs, d’extrême droite et religieux à travers le monde en bénéficiant de généreux financements privés. En Europe, ils tentent soit de limiter en pratique l’accès à l’avortement là où il est légal comme en Italie, où plus de 80 % de médecins italiens, sous l’influence de ces groupes, utilisent la clause de conscience dans le secteur public. En Pologne, en collusion avec le gouvernement, ils veulent restreindre un droit déjà bien maltraité depuis plusieurs années, avec le projet de loi « Stop Avortement ».

L’accès aux droits sexuels et reproductifs est un enjeu de démocratie, de justice sociale, de progrès. Les femmes ne sont ni « la moitié de », ni complémentaires, ni mineures. Elles sont des citoyennes, et doivent être reconnues comme telles dans leurs droits, leurs choix et leurs désirs. Le droit d’avorter en fait partie, et il doit devenir un droit humain à part entière, et non plus être traité comme un droit à part !

Sur le même thème