Pourquoi Jean-Luc Mélenchon a-t-il tant de mal, pendant cette campagne législative, à « transformer l’essai » des présidentielles ? Va-t-il, dans les quelques jours de campagne qui lui restent, réussir à retrouver l’alchimie particulière qui a fondé sa dynamique présidentielle ou en revenir au logiciel contestataire d’une extrême gauche cantonnée depuis des années à réaliser des scores à un chiffre ? Analyse de ce qu’il reste du « torrent » Mélenchon avec Chloé Morin pour l’Observatoire de l’opinion.
Sur les ruines d’un Parti socialiste à qui il a confisqué, dans la foulée du premier débat présidentiel, le monopole du vote utile à gauche, le leader de La France insoumise cherche désormais à s’imposer dans la durée comme la seule force d’opposition. Et donc, un jour peut-être, la seule force d’alternance à Emmanuel Macron. Auréolé de son excellent score au premier tour de l’élection présidentielle, il semble d’ores et déjà avoir gagné une première bataille dans l’opinion : dans le dernier baromètre Ifop-Paris Match, son parti incarne « le mieux » l’opposition aux yeux de 39% des Français, dix points devant celui de Marine Le Pen, et distançant largement Les Républicains (23%). Même ce qu’il reste de sympathisants socialistes voient en lui un meilleur opposant à Emmanuel Macron que leur propre parti (40% contre 35%).
Malgré les critiques nombreuses dont il a fait l’objet dans l’entre-deux tours, l’opinion de gauche ne semble donc nullement lui tenir rigueur de son « ni ni » face au Front national. Pour autant, celui qui avait échoué à construire quoi que ce soit de durable sur la base de sa bonne campagne de 2012 doit savoir que la bataille de l’incarnation de l’opposition est loin d’être gagnée. Si l’on en juge par ce qui s’est passé depuis le 7 mai dernier et par la stratégie que Jean-Luc Mélenchon semble avoir adoptée, il est même permis de douter du succès de l’entreprise du leader de La France insoumise.
En effet, force est de constater qu’il ne parvient pas à transformer son excellent score présidentiel en dynamique législative. Les différents instituts lui accordent, au niveau national, entre 11% et 14% des intentions de vote, en baisse continue depuis le 7 mai dernier. Malgré l’extrême difficulté dans laquelle se trouve le Parti socialiste, il ne semble pas parvenir à maintenir la mobilisation de ses soutiens, voire à en rallier de nouveaux. Ainsi, par exemple, Harris Interactive a mesuré une baisse de 23 points des intentions de vote chez ses électeurs de la présidentielle entre la mi-mai et le 1er juin. Et les électeurs de gauche qui s’étaient portés sur Benoît Hamon sont désormais bien plus nombreux à se tourner vers La République en Marche ! ou Europe Écologie-Les Verts pour les élections législatives que vers La France insoumise.
Certes, cette difficulté à « transformer l’essai » est en partie liée à la sociologie de son électorat : un électorat qu’il était en partie allé chercher aux franges de l’abstention – donc plus jeune, plus modeste, moins intéressé par la politique. Cet électorat, on le sait, a structurellement plus de difficultés à se mobiliser pour d’autres élections que la présidentielle.
Mais l’absence de dynamique de La France insoumise ne semble pas uniquement s’expliquer par la sociologie particulière de ses soutiens. Après tout, contrairement à ceux du Parti socialiste et de Les Républicains, ces derniers ont le mérite de ne pas être du tout divisés quant à la stratégie à adopter face au président: ils s’inscrivent clairement dans une logique d’opposition, quand les électeurs des deux (ex ?) partis de gouvernement sont divisés entre soutien vigilant et opposition constructive… à moins que ça ne soit l’inverse.
Non, si Jean-Luc Mélenchon paraît peiner à capitaliser sur l’élection présidentielle pour conforter sa place dans le nouvel échiquier politique issu de la recomposition, c’est plutôt en raison d’une inflexion majeure dans sa stratégie. C’est-à-dire dans son comportement. Car la dynamique de Jean-Luc Mélenchon, quand bien même adore-t-il se targuer du soutien des 450 000 Insoumis dont il n’est censé être que le simple porte-parole, c’est Jean-Luc Mélenchon lui-même. Sa personnalité, son éloquence, sa culture, l’honnêteté et la proximité avec les problèmes du quotidien qui lui est prêtée. Pour preuve : ce sont les débats et émissions télévisés qui, en l’exposant, l’ont véritablement fait émerger dans la dernière ligne droite de la campagne présidentielle. Or, force est de constater que son comportement depuis le soir du second tour tranche nettement avec le Mélenchon de la campagne présidentielle. Les Français le redécouvrent cassant, excessif, bien loin de la bienveillance – exigeante et vigilante, certes – avec laquelle ils ont décidé de juger les premiers pas du nouveau président. Même ceux qui cherchent à en découdre avec Emmanuel Macron ne semblent pas vraiment approuver la dureté de son positionnement. Il semble avoir perdu une dimension d’image fondamentale acquise pendant la présidentielle : la capacité à rassurer – notamment face aux conséquences redoutées d’une politique économique trop « libérale » aux yeux d’une partie de la gauche.
Pour mesurer l’impact de ce changement de registre sur la perception qu’ont les Français de Jean-Luc Mélenchon depuis trois semaines, il suffit de regarder les dernières cotes de popularité publiées. Dans le dernier baromètre de confiance Harris Interactive, Jean-Luc Mélenchon reste la troisième personnalité de l’opposition, et la deuxième chez les sympathisants de gauche, derrière Benoît Hamon. Mais il perdait cinq points, retrouvant ainsi son niveau de novembre 2016. Dans le baromètre réalisé par Kantar Sofres pour Le Figaro Magazine, Jean-Luc Mélenchon est là encore très bien placé. Avec 41%, il a la deuxième meilleure « cote d’avenir », après Nicolas Hulot. Mais là aussi, il se situe plutôt sur une pente descendante : il perd trois points, alors que l’humeur est plutôt à une relative bienveillance des Français à l’égard de l’ensemble du personnel politique, avec peu de personnes perdant des points ce mois-ci. À l’exception de… Marine Le Pen, qui en perd quatre. Dans le baromètre réalisé par BVA, la cote d’influence du leader de La France insoumise est carrément passée de 44% avant le premier tour de la présidentielle à 32% le 22 mai dernier. Et encore, c’était avant que n’éclate la polémique sur ses accusations sur la responsabilité de Bernard Cazeneuve dans la mort de Rémi Fraisse.
Jean-Luc Mélenchon va-t-il, dans les quelques jours de campagne qui lui restent, réussir à retrouver l’alchimie particulière qui a fondé sa dynamique présidentielle? Ou va-t-il en revenir au logiciel contestataire d’une extrême gauche cantonnée depuis des années à réaliser des scores à un chiffre, et s’enfermer à force d’excès et d’invectives dans une caricature de lui-même? Lui seul détient la réponse. Et de celle-ci dépendra sa capacité à asseoir davantage son mouvement dans l’opinion au cours des semaines qui viennent.
Sur la route qui pourrait le conduire à incarner l’opposition des cinq années qui viennent, il risque en outre de se heurter à un autre obstacle de taille. Car si l’on hasarde une traduction des intentions de vote qui lui sont prêtées à ce jour en nombre de sièges à l’Assemblée, il en obtiendrait probablement entre 20 et 30. Peut-on durablement prétendre incarner l’alternance lorsqu’on pèse si peu à l’Assemblée? C’est une des questions auxquelles se heurte également Marine Le Pen. Le jeu du scrutin majoritaire pourrait, finalement, se révéler à moyen et long terme le meilleur allié d’un Parti socialiste et d’un parti Les Républicains moribonds, mais qui espèrent encore incarner l’alternance demain…