Les dernières semaines d’une campagne atypique

L’élection présidentielle 2017 a pris une tournure inédite sous la Ve République, et les deux dernières semaines de la campagne ont été marquées par un resserrement inédit des intentions de vote entre les quatre candidats en tête. Retour sur une fin de campagne folle avec Chloé Morin, de l’Observatoire de l’opinion, et Esteban Pratviel, de l’Ifop.

Le spectre d’un second tour Mélenchon/Le Pen favorise Emmanuel Macron

La fin du mois de mars et le début du mois d’avril avaient été marqués par la progression saisissante enregistrée par Jean-Luc Mélenchon, passant – en l’espace d’un mois – de 10,5% d’intentions de vote le 17 mars à 19,5% le 17 avril. Le candidat de La France insoumise avait gagné des parts de marché considérables auprès des professions intermédiaires et des salariés du secteur public, mais aussi parmi les segments les plus modestes, les employés, les ouvriers, les moins diplômés ou encore les habitants des communes rurales. Il avait ainsi siphonné l’électorat jusqu’alors positionné sur Benoît Hamon, et contestait à Emmanuel Macron le leadership parmi les électeurs de François Hollande au premier tour de l’élection présidentielle de 2012.

Mais il apparaît, au regard des données dont nous disposons et observées entre le 6 et 20 avril, que sa dynamique s’est enrayée en fin de campagne. Les intentions de vote en faveur de Jean-Luc Mélenchon se sont stabilisées pour atteindre un plafond ne lui permettant pas de se qualifier pour le second tour de l’élection présidentielle. L’intériorisation de la présence de Marine Le Pen au second tour du scrutin et la perspective de l’y voir confrontée à Jean-Luc Mélenchon a sans doute effrayé de nombreux électeurs, qui sont revenus vers le candidat le plus à même d’éviter une telle perspective.

Après avoir atteint un seuil de 22,5% d’intentions de vote le 12 avril – son score le plus bas depuis le 23 février et le ralliement à sa candidature de François Bayrou – Emmanuel Macron est progressivement remonté dans les derniers jours de la campagne, pour obtenir 24% des suffrages en France métropolitaine le 23 avril. Il s’est notamment renforcé chez les CSP+ (30%, +3), en particulier chez les travailleurs indépendants. Il a également gagné quatre points chez les personnes gagnant entre 3 000 et 4 000 euros par mois (29%), et conservé des niveaux très élevés chez les personnes gagnant 4 000 euros et plus (33%). De même, il a gagné sept points parmi les classes moyennes supérieures (31%) pendant que François Fillon en perdait six. Il parvient par ailleurs à capter sur l’ensemble de la période quatre points d’électeurs de François Hollande en 2012, tout en gardant des scores stables chez les électeurs ayant voté Nicolas Sarkozy (17%) et François Bayrou (50%) en 2012. L’offre du candidat d’En Marche ! a ainsi enregistré le retour de nombreux pans de l’électorat, dont certains avaient un temps été séduits par Jean-Luc Mélenchon. Quelques jours avant l’échéance, 53% des électeurs d’Emmanuel Macron déclaraient d’ailleurs qu’ils soutiendraient le candidat ne correspondant pas totalement à leurs idées mais qui aurait le plus de chances d’être au second tour, contre 26% en moyenne.

François Fillon ne parvient pas à créer la surprise et échoue aux portes du second tour

Sans pour autant progresser de manière significative, François Fillon avait quant à lui vu sa candidature prendre de l’épaisseur en fin de campagne, grâce à un électorat sur-mobilisé et sûr de son choix. Les personnes âgées de 65 ans et plus (32%), les retraités (37%), les travailleurs indépendants (26%) et les diplômés du 2e et du 3e cycle du supérieur (26%) soutenaient notamment le vainqueur de la primaire organisée par Les Républicains et constituaient un socle solide sur lequel s’appuyer, avec une plus forte propension à participer aux scrutins électoraux. Le candidat voyait parallèlement converger vers lui les segments penchant traditionnellement pour la droite, comme les cadres et professions intellectuelles supérieures, les hauts revenus catégories aisées, et les familles comprenant trois enfants et plus.

En s’adressant principalement à son électorat et en radicalisant ses positions, François Fillon a ainsi réussi à solidifier son socle d’électeurs traditionnels de droite, lui permettant de se maintenir à un haut niveau d’intentions de vote. Il s’est ainsi consolidé au cours des deux dernières semaines de campagne chez les retraités (+3,34%) et les plus de 65 ans (39%, +3), qui constituent l’essentiel de son électorat. Lui qui a choisi d’occuper le week-end pascal à parler au cœur des catholiques a gagné deux points dans ce segment électoral (26%), dont six points chez les catholiques pratiquants (45%). Sur le plan politique, il a aussi gagné dans les derniers jours de campagne tant sur le centre (63%, 9 points auprès des sympathisants de l’UDI) que chez Les Républicains (78%, +2). François Fillon est finalement parvenu à reconquérir cinq points d’électeurs de Nicolas Sarkozy en 2012 (61%) et deux points d’électeurs de François Bayrou 2012 (20%). Mais en se concentrant sur cet électorat traditionnel et en ne s’adressant qu’à lui, l’ancien Premier ministre a échoué dans sa tentative de se qualifier pour le second tour. La participation des personnes les plus âgées a finalement été décevante (83%) et il n’a pas réussi à convaincre suffisamment d’électeurs de Nicolas Sarkozy en 2012 le 23 avril (60%).

La concurrence de Jean-Luc Mélenchon empêche Marine Le Pen d’arriver en tête

Malgré un contexte marqué par le terrorisme, sujet sur lequel les Français lui prêtent une crédibilité certaine (31% des Français considéraient qu’elle était la plus crédible, contre 14% penchant pour François Fillon et 14% pour Emmanuel Macron), et un recentrage de sa campagne sur ses fondamentaux au cours de la dernière ligne droite, la candidate du Front national a connu une érosion importante de ses intentions de vote en fin de campagne. Elle a ainsi perdu 1,5 point en moyenne entre le 6 et le 20 avril, cédant ainsi sa place de favorite à Emmanuel Macron. 

Son érosion a été particulièrement marquée dans tous les segments qui constituaient pour elle des territoires de conquête, acquis au fil des scrutins depuis 2012. Ainsi, elle a perdu du terrain chez les plus âgés, traditionnellement réticents à ses positions sur les questions européennes, et qui ont pu basculer par peur d’un second tour opposant la candidate d’extrême droite au candidat de la France insoumise : -4 points chez les 50-64 ans (23%), -3 points chez les 65 ans et plus (14%) et -3 points chez les retraités (16%). De même, les plus aisés qu’elle était parvenue à séduire sont retournés vers des candidats jugés plus « sûrs » : -2 points chez les dirigeants d’entreprise (21%), -2 points chez les cadres et professions intellectuelles supérieures (13%) et -2 chez les personnes gagnant 4 000 euros et plus par mois (13%). Politiquement, elle a certes conservé une grande partie de son socle de 2012 (84%), mais perdu une partie des gains acquis en cours de campagne sur l’électorat de François Hollande (5%, -5), de François Bayrou (3%, -3) et de Nicolas Sarkozy (10%, -5, au profit de François Fillon) en 2012. Enfin, notons qu’elle a perdu quatre points chez les catholiques pratiquants (17%), essentiellement au profit du candidat de droite.

Dans des segments qui constituent de longue date son cœur d’électorat, on a également observé une légère érosion – signe, peut-être, que l’idée selon laquelle la bascule d’un électeur vers le Front national est irréversible pourrait être démentie à l’avenir. En effet, si elle a progressé de cinq points chez les chômeurs et restée stable à de très hauts niveaux chez les actifs les moins aisés, elle a cédé du terrain dans l’électorat le plus modeste. Ainsi, elle cède quatre points chez les personnes gagnant moins de 1 000 euros par mois (25%), six points chez les personnes gagnant entre 1 000 et 1 500 euros (27%), et cinq points chez les personnes gagnant entre 1 500 et 2 000 euros (23%). Elle perd parallèlement quatre points parmi les catégories modestes (26%) et trois points chez les catégories pauvres (31%), essentiellement au profit de Jean-Luc Mélenchon.

 

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