La France des satisfaits

À l’occasion de la publication de la vague 5 de l’Enquête électorale française réalisée par Ipsos pour la Fondation Jean-Jaurès, le Cevipof et Le Monde, Jérémie Peltier, directeur des études de la Fondation, s’intéresse à la perception qu’ont les Français de la vie qu’ils mènent et à leur sentiment de satisfaction.

Des Français globalement satisfaits de la vie qu’ils mènent  

Dans la cinquième vague de l’Enquête électorale 2022 réalisée par la Fondation Jean-Jaurès avec Ipsos, le Cevipof et Le Monde, arrêtons-nous un instant pour voir si les Françaises et les Français se disent satisfaits dans leur vie personnelle, au moment où les « convois de la liberté » font leur apparition sur nos routes.

Il semble désormais acté que cette campagne « ne prend pas », n’intéresse pas les gens, et n’est pas un sujet de discussion entre les individus. Quand plus de 80% des Français avaient parlé début février 2017 de la campagne présidentielle avec leurs proches au cours des derniers jours, c’est le cas de 52% seulement début février 20221Baromètre Ifop pour Paris Match..

Il y a évidemment mille raisons pour expliquer ce phénomène. L’une d’entre elles pourrait se trouver du côté de l’état personnel des individus. On dit très souvent que les responsables politiques doivent être « connectés » à la vie personnelle des citoyens, doivent parler à ce que les uns et les autres vivent au quotidien.

À ce stade, les Français n’apparaissent pas, d’une façon générale, insatisfaits plus que de raison de la vie qu’ils mènent aujourd’hui, bien que 63% d’entre eux considèrent que nous vivons en France dans une société injuste2Baromètre de la confiance politique, OpinionWay pour le Cevipof, vague 13..

Dans notre panel, sur une échelle de 0 à 10 (0 signifiant « absolument pas satisfait de la vie que je mène » et 10 « absolument satisfait de la vie que je mène »), la note moyenne des Français se situe à 5,9 sur 10. Pas si mal donc pour un pays que l’on décrit souvent comme peuplé d’éternels insatisfaits.

Dans le détail, les niveaux de satisfaction sont encore plus frappants : presque la moitié des Français (46%) se situent entre 7 et 10, soit des individus très satisfaits de la vie qu’ils mènent, et 40% se situent de 4 à 6, soit des individus ni insatisfaits ni satisfaits de la vie qu’ils mènent. Ainsi, seulement 14% des personnes interrogées peuvent être considérées comme des personnes insatisfaites (personnes plaçant leur curseur de satisfaction entre 0 et 3 sur 10).

Cette bonne satisfaction individuelle peut expliquer en partie pourquoi les Français ne sont pas dans un état de révolte ni de colère à l’approche du premier tour de cette campagne présidentielle. Il y a de la fatigue, de la lassitude, mais finalement peu de potentiel de nervosité, quand bien même les prochains jours donneront la part belle aux « convois de la liberté » sur les chaînes d’info en continu, laissant à penser que nous sommes dans un pays à feu et à sang. En outre, sur le rapport des Français à leur vie personnelle, la dernière vague du Baromètre de la confiance politique offre quelques enseignements complémentaires : 72% des Français considèrent que les gens en France ont la possibilité de choisir leur propre vie (+4 par rapport à janvier 2021), et 61% considèrent avoir une liberté totale sur leur propre avenir (+6 par rapport à février 2021).

Ce qui est d’ailleurs intéressant quand on réexamine les résultats de l’Enquête électorale française, c’est que le nombre de Françaises et de Français satisfaits dans leur vie quotidienne est en février 2022 au même niveau que ce que l’on observait en juin 2017, soit juste après la victoire d’Emmanuel Macron. 45% des Français se disaient très satisfaits de leur vie en juin 2017 (note entre 7 et 10), contre 46% en février 2022. Toujours en juin 2017, 13% des Français se disaient insatisfaits de leur vie (note entre 0 et 3), contre 14% en février 2022.

Qui sont les Français satisfaits ?

Quand on regarde dans le détail, qu’observe-t-on au sein de cette France globalement satisfaite ? Intéressons-nous à celles et ceux qui se disent plutôt ou très satisfaits de la vie qu’ils mènent (entre 7 et 10 sur une échelle de 0 à 10), soit 46% des Français.

D’abord, on voit que les hommes sont plus satisfaits que les femmes : 48,5% de satisfaits contre 44%.

Les vieux sont plus satisfaits que les jeunes : quand 43% des 18-24 ans se disent satisfaits dans leur vie personnelle, c’est le cas de 48% des 60 ans et plus, et même 51% chez les 70 ans et plus.

Dans les professions ensuite : quand 60% des cadres se disent satisfaits de la vie qu’ils mènent, c’est le cas de moins de 40% des agriculteurs, des employés et des ouvriers.

Et où habitent ces satisfaits ? Très souvent châtiée, force est de constater que l’Île-de-France est la région qui comporte les individus les plus satisfaits dans la vie (ce qui nous permet de rappeler, malgré les effets de mode de départs en province, l’évidence du lien entre satisfaction dans sa vie et salaire, l’Île-de-France étant la région qui a le niveau de vie médian le plus élevé de France). Ainsi, 49,5% des habitants d’Île-de-France se disent satisfaits dans leur vie, contre 43,5% des habitants des Hauts-de-France par exemple, l’une des régions qui a le niveau de vie médian le plus faible de métropole.

« « L’argent ne fait pas le bonheur » est une expression inventée par les riches pour éviter que les pauvres se révoltent ». Cette phrase de Jean Yanne, à l’heure où le thème qui va structurer la campagne présidentielle est le pouvoir d’achat, prend tout son sens lorsqu’on regarde le lien entre argent et satisfaction dans sa vie : 47,8% de satisfaits chez les personnes dont le revenu mensuel net du foyer va de 2 500 à 3 500 euros ; 60,7% dans les foyers allant de 3500 à 5000 euros, et plus de 70% pour les personnes vivant dans les foyers ayant un revenu mensuel net allant au-delà de 5 000 euros. A contrario, on observe 44% de satisfaits chez les personnes qui habitent dans un foyer dont le revenu mensuel net se situe entre 2000 et 2500 euros par mois, 36% entre 1250 et 2000 euros, et 25% pour les moins de 1250 euros.

Autre élément intéressant : alors que les propositions sur le patrimoine et les droits de succession refont leur apparition dans le débat public, le fait d’être propriétaire ou non modifie considérablement la façon dont les individus se disent satisfaits ou non de la vie qu’ils mènent : on compte 52% de satisfaits parmi les propriétaires (+6 par rapport à la moyenne nationale donc), contre 35% seulement chez les locataires (-11 par rapport à la moyenne nationale).  

Enfin, pour qui votent les satisfaits ? Là, aussi, le panel est riche d’enseignements.

On retrouve sans surprise 67% de satisfaits parmi les personnes qui indiquent vouloir voter pour Emmanuel Macron au premier tour de l’élection présidentielle (contre, on le rappelle, 46% de satisfaits en moyenne en France) et 54% de satisfaits parmi les personnes qui indiquent vouloir voter pour Valérie Pécresse.

Plus surprenant à gauche (mais, là aussi, riche d’enseignements), on trouve 56% de satisfaits chez les électeurs de Christiane Taubira, et 54% chez les électeurs de Anne Hidalgo et Yannick Jadot. A contrario, 40% de satisfaits chez les électeurs de Fabien Roussel et 34% chez les électeurs de Jean-Luc Mélenchon.

Enfin, on observe 40% de satisfaits chez les électeurs d’Éric Zemmour et 34% seulement chez ceux de Marine Le Pen.

Ainsi, regarder les satisfaits et les insatisfaits dans leur vie est toujours utile : d’abord pour voir quel est le potentiel de nervosité du pays, à ce stade très faible. Ensuite pour tenter de comprendre à travers d’autres grilles de lecture les raisons pour lesquelles, par exemple, les candidates et candidats dits de « gauche de gouvernement » ne parviennent pas à décoller durant cette présidentielle. L’une des explications peut se trouver ici : quand le nombre de personnes satisfaites dans leur vie de tous les jours (satisfaites notamment du fait de son niveau de vie et de son salaire, comme nous l’avons vu précédemment) dépasse le nombre de personnes non satisfaites, il y a vraisemblablement un problème sur le long terme, si l’on considère que la gauche est originellement là pour s’adresser aux moins bien lotis.

  • 1
    Baromètre Ifop pour Paris Match.
  • 2
    Baromètre de la confiance politique, OpinionWay pour le Cevipof, vague 13.

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