Emmanuel Macron, l’ombre d’un doute ?

Gilles Finchelstein, directeur général de la Fondation Jean-Jaurès, analyse les raisons de l’avance du président sortant, Emmanuel Macron, dans les sondages, grâce aux dernières données de la huitième vague de l’Enquête électorale française réalisée par Ipsos pour la Fondation Jean-Jaurès, le Cevipof et Le Monde.

Les pronostics des Français sont sans la moindre équivoque : pour 72% d’entre eux, Emmanuel Macron devrait être réélu le 24 avril prochain – devenant ainsi le premier président de la République réélu au suffrage universel direct sans traverser une période de cohabitation. Les jeux semblent tellement faits que cette absence de suspense constitue le motif le plus avancé par les abstentionnistes pour expliquer leur choix, après l’absence de nouveauté des propositions.

Au-delà, le niveau des intentions de vote en faveur du président sortant conforte ce pronostic. Au premier tour, avec 28%, il progresserait de 4 points par rapport à 2017 – alors que Valéry Giscard d’Estaing en 1981, Jacques Chirac en 2002 ou Nicolas Sarkozy en 2012 ont connu au mieux une stabilité, au pire un recul par rapport au score de leur première candidature. Avec 77% d’électeurs déclarant que leur choix est « définitif », il dispose du socle le plus solide. Et au second tour, Emmanuel Macron est non seulement toujours donné gagnant mais, mieux encore, avec des écarts au minimum supérieurs à 14 points.

Le statut d’hyper favori d’Emmanuel Macron s’explique enfin par son image – ou, pour être plus précis, par son image relativement à celles des autres candidats. S’agissant de la gestion de la guerre en Ukraine, une majorité de Français (64%) lui fait confiance et, surtout, lui fait bien davantage confiance qu’à n’importe quel autre candidat. Et s’agissant des principaux traits d’image, c’est lui toujours qui, de loin, a le plus « l’étoffe d’un président de la République » mais est aussi le plus « sympathique ».

Au fond, la principale force d’Emmanuel Macron vient de la cohérence entre le candidat, ses électeurs et le moment politique.

Le candidat ? Les Français sont 10% à le positionner à gauche et 57% à droite – son positionnement moyen était à 6,2/10 en octobre dernier, proche de celui des Français qui est aujourd’hui à 5,7/10 (0 signifiant « très à gauche » et 10 « très à droite »). Des mesures présentées dans son programme, ils n’ont mémorisé que celles qui étaient les plus marquées à droite – notamment le recul à 65 ans de l’âge de la retraite et la conditionnalité du RSA.  

Quant à ses électeurs, il n’y a guère de surprises. Psychologiquement, ils appartiennent à la France qui va bien : 70% sont satisfaits de leur vie – tel n’est le cas que pour moins de 40% des électeurs de Jean-Luc Mélenchon, Éric Zemmour ou Marine Le Pen. Sociologiquement, ils sont plus vieux que jeunes (35% chez les plus de 70 ans contre 25% chez les 18-24 ans), plus riches que pauvres (38% chez les revenus supérieurs à 5000 euros contre 18% chez ceux qui gagnent moins de 1250 euros), plus cadres supérieurs (35%) qu’ouvriers (16%) et plus propriétaires (31%) que locataires (21%). Politiquement enfin, il faut distinguer le macronisme d’origine – il compte à peu près autant d’anciens électeurs de François Hollande que de Nicolas Sarkozy – et le macronisme de destination – lorsque l’on regarde la composition de son électorat, 17% s’auto-positionnent à gauche et 56% à droite. De manière édifiante, les intentions de vote des électeurs de François Fillon de 2017 se portaient deux fois plus sur Valérie Pécresse que sur Emmanuel Macron en décembre dernier et se répartissent à égalité entre eux aujourd’hui.

Et pourtant, la marche triomphale qui s’esquissait il y a quinze jours semble plus chaotique et la campagne d’Emmanuel Macron laisse une drôle d’impression. Si chacun peut en comprendre les raisons, Emmanuel Macron donne le sentiment de ne pas réellement faire campagne – Charles de Gaulle lui-même avait payé une telle attitude en 1965. Son programme s’inscrit plus dans la continuité que dans le changement, s’ancre plus à droite qu’à gauche et additionne davantage des propositions qu’il ne dessine une ambition – les équilibres de 2017 se sont modifiés et l’élan s’est émoussé. Surtout, au-delà de ces impressions subjectives, les données témoignent de ce que la dynamique est à la baisse : l’écart avec Marine Le Pen, qui était de 16 points le 3 mars, s’est réduit à 10 points. Dans l’opinion, Marine Le Pen apparaît aujourd’hui quasiment aussi sympathique qu’Emmanuel Macron et, en centrant sa campagne sur le pouvoir d’achat – préoccupation écrasante des Français –, est, de loin, la candidate dont les Français considèrent qu’elle « comprend les problèmes des gens comme eux ».

À ce stade, c’est sans doute davantage l’élan que l’issue du scrutin qui est en jeu. Il n’empêche. Ce n’est pas encore un doute. Tout juste une ombre. Mais déjà l’ombre d’un doute.

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