Baromètre des émotions, deuxième édition

Quelle lecture émotionnelle pouvons-nous faire des Français en cette fin d’année ? Et que nous disent nos émotions à quatre mois de l’élection présidentielle ? Adrien Broche et Stewart Chau analysent le deuxième volet du Baromètre des émotions, en partenariat avec ViaVoice et Le Point.

L’état d’esprit actuel : une société française de plus en plus fatiguée

Premier enseignement de cette nouvelle édition de notre Baromètre, l’état d’esprit général des Français reste stable cette année, 53% des Français le considérant positif contre 43% le déclarant négatif.

S’ils considèrent leur état d’esprit actuel plutôt positif, par une courte majorité certes, les Français forment une société fatiguée, qui s’interroge :

  • 57% des Français disent d’abord et avant tout ressentir comme première émotion la « fatigue ». À l’issue de plus d’une année et demie de crise sanitaire marquée par l’expérience des confinements et restrictions diverses, à l’heure où une cinquième vague frappe le pays et où l’on pense déjà à la suivante, où nous entrons tout juste dans la saison hivernale, les Français sont fatigués. Six Français sur dix se disent par ailleurs « plus fatigués » qu’avant la crise et près d’un sur deux ont le sentiment d’être « plus sensibles, plus émotifs » qu’avant mars 2021 ;
  • cause ou conséquence de cette fatigue, c’est aussi un certain rapport au doute qui caractérise la période émotionnelle que vivent les Français. Ils sont ainsi 40% à déclarer ressentir de l’incompréhension dans la période. Si ce ressenti peut être polysémique (incompréhension face à la situation politique, sanitaire, face au débat public), force est de constater qu’il dit quelque chose d’une société française qui doute ;
  • face aux doutes que manifestent l’incompréhension et l’incertitude, mais aussi face à la colère, les Français gardent motivation et confiance : ils sont respectivement 30% et 27% à qualifier leur état d’esprit par ces termes.

En ligne avec les résultats mesurés lors de la vague précédente, les trois « territoires de vie » présentent des caractères bien saillants :

  • la vie au travail est d’abord associée à la fatigue (39%). Espace de lien social, c’est aussi un lieu associé à la confiance et à la sérénité ;
  • la vie sociale reste négativement qualifiée, d’abord synonyme d’ennui et de tristesse et à l’image d’une société française dont le ciment que constitue le lien social est plus abîmé que jamais. En cohérence, la vie citoyenne censée être stimulée à l’approche des échéances électorales reste entachée de la méfiance que les Français ont à l’égard de la chose politique : l’incompréhension, le dégoût et l’indifférence lui sont prioritairement associés ;
  • la vie chez soi, enfin, celle du domicile, constitue toujours un socle de mieux-être : elle est d’abord synonyme de sérénité, de joie et de confiance pour un tiers des Français. Elle est associée à la vie de famille qui, elle aussi, recueille des perceptions positives autour du même trio émotionnel. Ce sont les espaces du réconfort dans des temps chahutés. À ce titre, les fêtes de fin d’année, opportunités de temps passé en famille, restent associées à des représentations positives : joie, enthousiasme et espoir.

Les émotions pour l’avenir : l’espoir malgré tout

Invités à évaluer leur état d’esprit pour les semaines et mois à venir, les Français dépeignent un cocktail émotionnel assez hétérogène, caractérisé par un sentiment ambivalent de crainte mais aussi de résilience : 

  • l’espoir et la peur sont les deux premières émotions associées par les Français aux mois qui viennent, c’est ensuite une nouvelle fois l’incompréhension et la colère qui pourraient caractériser la situation émotionnelle des Français à l’avenir ;
  • un panorama globalement négatif, mais une éclaircie d’espérance qui n’est pas en reste, même si elle se montre davantage partagée par les 65 ans et plus que par les plus jeunes et par les cadres que par les catégories socio-professionnelles inférieures. 

Confrontés à décrire les émotions qu’ils associent à des termes relatifs au champ du débat public, les enseignements présentent là aussi un double intérêt : 

  • d’abord, celui de voir les termes relatifs à des principes et à des valeurs associés à des émotions positives. « Vote », « France », « Droits de l’homme », « Démocratie » restent relativement positivement connotés. Ils sont pour les Français synonymes d’espoir et de confiance, voire d’incompréhension que l’on peut imputer à un décalage entre les temps vécus et ce à quoi renvoient théoriquement ces termes. En quête de pouvoir d’achat, même « Argent » est synonyme d’espoir, de sérénité et de confiance ; 
  • des termes moins principiels et associés à des valeurs sont en revanche moins bien perçus. « Journalisme » et « Religion » constituent un ventre mou qui évoque essentiellement de l’indifférence là où « Gouvernement », « Grève », « Justice » ou encore et surtout « Politique » provoquent du dégoût et de la colère. Quoi pourtant de plus politique que le vote, la démocratie et les droits de l’Homme ? La lecture émotionnelle de ces termes apporte, s’il en fallait une, une illustration supplémentaire d’une scission entre le masculin et le féminin du mot « Politique ».

Émotions et élection présidentielle

La lecture émotionnelle de la présente campagne présidentielle permet une analyse complémentaire du rapport de force politique en présence. Quelles émotions guident la campagne présidentielle ? Quelles émotions caractérisent les sujets présents dans l’actuel débat politique ? Quel est le profil émotionnel des électeurs ? 

Une campagne peu désirable, portée par des sujets évocateurs de colères et de peurs 

Les sujets prioritaires de cette campagne sont clairement identifiés et se déploient sur trois registres différents : santé, pouvoir d’achat, sécurité. 

Point commun de ces enjeux, les émotions qu’ils suscitent : lorsqu’on évoque le sujet de la santé, les Français éprouvent d’abord de la peur (24%) puis de la colère (23%). Sur le pouvoir d’achat, la colère et la peur priment (23%) et enfin pour la sécurité, c’est avant tout un sentiment de peur (31%) qui s’exprime clairement.

Portée par des sujets évocateurs d’émotions négatives, la campagne produit de l’incompréhension, sans doute générée par un paysage politique plus morcelé que jamais amplifiant l’incertitude qui domine, mais la campagne suscite aussi beaucoup d’ennui, d’indifférence et de la fatigue.

Pour autant, dans un climat « décliniste » assez moribond, les Français souhaitent une campagne porteuse d’espoir, de confiance, d’enthousiasme voire de sérénité. Un paradoxe qui interroge sur la formulation de l’offre politique autour de ces enjeux, de la capacité à les traiter en suscitant de l’espoir et, peut-être aussi, la nécessité de mettre à l’agenda politique d’autres sujets davantage évocateurs d’émotions positives.

Profils émotionnels des électeurs : le camp de la colère, le camp de la fatigue, le camp de l’espoir

L’analyse émotionnelle des différents électorats dessine trois familles d’électeurs aux émotions bien distinctes : 

  • d’abord, une famille d’électeurs qui expriment plus que les autres de la colère et du dégoût : on retrouve ici des électeurs d’Éric Zemmour et de Marine Le Pen. Ce sont les deux émotions ressenties par ces électeurs ;
  • ensuite, une famille d’électeurs usés par la crise, emprise d’incertitudes, qui se caractérise par l’expression d’une fatigue très forte. On retrouve ici surtout une grande partie des électeurs de Valérie Pécresse dont la fatigue est l’émotion dominante dans cet électorat ;
  • enfin, une dernière famille se définit par des émotions plus positives, notamment par l’espoir et l’enthousiasme. On retrouve ici les électeurs d’Emmanuel Macron.

En ligne avec ces profils émotionnels, l’état d’esprit des électeurs complète l’analyse des profils émotionnels et rend compte de ce qui sous-tend la construction des opinions. Ces profils recoupent dans les grandes lignes une répartition des électorats par famille émotionnelle que l’on peut faire en trois temps : 

  • les candidatures « radicales » d’abord : un électorat dont le niveau d’état d’esprit négatif est supérieur au positif. Cette première famille concerne les électeurs des candidats de rupture : Fabien Roussel, Jean-Luc Mélenchon, Nicolas Dupont-Aignan et Éric Zemmour. Prime à la colère ;
  • les candidatures « modérées », ensuite, se rassemblent dans une famille émotionnelle constituée d’électorats à l’état d’esprit à la fois plus positif que négatif, mais aussi positivement supérieur à la moyenne nationale. Elle concerne prioritairement les électeurs d’Anne Hidalgo, Emmanuel Macron et Valérie Pécresse ;
  • enfin, les candidatures « décalées » rassemblent des électeurs plus positifs que négatifs, autour de personnalités comme Philippe Poutou et Jean Lassalle, seuls à provoquer de « l’amusement ». Si cette connotation légère répond à une anxiété ambiante, elle n’est logiquement pas synonyme de crédibilité.

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