Sociologie des quartiers populaires

Pour « Demain les banlieues », le député Philippe Doucet reçoit Antoine Jardin, chercheur spécialiste de la sociologie politique des quartiers populaires, co-auteur avec Gilles Kepel de Terreur dans l’Hexagone. Genèse du djihad français (Gallimard, 2015).

La réaction de Philippe Doucet

Dans le cadre de ce livre, il s’est particulièrement intéressé au vote des électeurs de confession musulmane qui habitent les quartiers marginalisés des grandes villes françaises. L’analyse se développe en deux temps. Il constate d’abord une démarche d’inclusion dans la vie politique – inscription sur les listes électorales et participation aux scrutins – entre 2005 et 2012 qui se sont faites en faveur de la gauche. Ensuite, à partir de 2012, apparaissent les premières contestations au sein de cette dynamique. La défiance à l’égard du gouvernement socialiste s’accroît avec le temps, ce qui conduit certains électeurs à s’orienter vers la droite, voire l’extrême droite.

Le vote massif en faveur de la gauche entre 2005 et 2012 s’est surtout structuré autour de l’opposition à Nicolas Sarkozy. En soi, il n’y a pas forcément de filiation entre cet électorat et la gauche, mais plutôt un accord tacite lié à des circonstances particulières. Mais, une fois retiré du jeu politique en 2012, Nicolas Sarkozy ne cristallise plus l’opposition à la droite. Et, déçu par la politique de François Hollande, cet électorat se détourne de la gauche ; en témoignent les élections européennes et municipales de 2014.

La première des déceptions concerne la politique économique initiée par François Hollande et la progression continue du chômage. En contrepoint, l’idée d’un développement économique des quartiers, défendu par la droite ou le centre droit, a séduit une partie de l’électorat qui n’était pas convaincue par la politique sociétale proposée par la gauche, notamment par le mariage pour tous. Parallèlement, l’absence de discours sur les quartiers populaires a contribué au repli de cet électorat.

Antoine Jardin décrit un basculement du « désespoir social » au « conservatisme autoritaire » observé chez une minorité, au sein de laquelle l’émergence de groupes islamiques traditionnels joue un rôle dans la structuration du vote. Entre le mariage pour tous et la journée de retrait de l’école, la question de l’éducation sexuelle ainsi que celle du genre se sont souvent heurtées à un système de valeurs différent, et cela a eu un effet sur la façon dont les électeurs perçoivent le pouvoir politique.

Au sujet du livre de Jérôme Fourquet Karim vote à Gauche et son voisin vote FN (L’Aube, Fondation Jean-Jaurès, novembre 2015), Antoine Jardin rappelle que les territoires sont très différents. Si l’on considère l’Ile-de-France, si l’ancienne banlieue rouge continue de voter à gauche, la frange périurbaine vote, quant à elle, beaucoup plus pour l’extrême droite. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, les populations non originaires d’un pays étranger qui habitent dans les quartiers populaires votent davantage à gauche que celles qui ne vivent pas dans ces quartiers. En résumé, le fait d’être en contact avec les quartiers marginalisés homogénéise le comportement électoral des habitants vers la gauche plutôt qu’il ne les engage vers l’extrême droite.

Toutefois, il est un nouveau défi pour la gauche. En effet, beaucoup plus que la droite, la gauche est aujourd’hui divisée sur la question de la laïcité. L’enjeu est donc de structurer ses différentes lignes, d’autant que les prises de position sont essentielles à la relation avec un électorat qui, parfois, a des revendications religieuses ou souhaite des modifications dans l’application de la norme de la laïcité.

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