Le Tchad d’Idriss Déby

Le projet de réforme constitutionnelle du président Déby renforcerait encore davantage le pouvoir du chef d’État tchadien et accentuerait donc la nature déjà fort peu démocratique du régime. La Fondation Jean-Jaurès a reçu Mahamat Alhabo, secrétaire général du PLD (Parti pour les libertés et le développement), un des principaux partis d’opposition démocratique, qui fut également ministre et ambassadeur.

 

En quoi consiste le projet de réforme constitutionnelle du président Deby ?

Mahamat Alhabo : Depuis le lancement de la campagne présidentielle de 2016, Déby avait annoncé la couleur ; il voulait changer la constitution pour s’éterniser et mourir au pouvoir. Il avait déjà lancé l’idée de changement de la forme de l’État, c’est-à-dire passer d’un État unitaire décentralisé vers un État fédéral et cela nécessitait naturellement un changement de Constitution. Mais derrière ce projet de changement de forme de l’État, ce qui l’intéressait avant tout, c’est comment obtenir deux nouveaux mandats de sept ans, quatorze ans donc pour s’éterniser au pouvoir. C’est comme ça qu’après les élections, Déby a invité les différents opposants à un forum sur les réformes institutionnelles. Lors de cette rencontre, nous lui avons expliqué qu’aujourd’hui, le Tchad et les Tchadiens ont d’autres soucis : le Tchad traverse des crises graves qui sont le résultat de sa mal-gouvernance. Nous vivons une crise financière gravissime qui elle même a engendré une crise économique grave, parce que beaucoup d’entreprises et d’hommes d’affaire tchadiens sont tombés en faillite. Et cette crise économique et financière a induit une crise sociale : les salaires ne sont pas payés, les hôpitaux n’offrent plus les services minimums, les écoles sont à l’abandon. On peut ajouter à tout ça une crise politique puisque Déby a fait un coup d’État électoral pour rester au pouvoir. À l’illégalité et à l’illégitimité du pouvoir exécutif se sont ajoutées l’illégalité et l’illégitimité du pouvoir législatif car le mandat de nos députés a pris fin en juin 2015 et aujourd’hui, nous sommes en 2018, et les députés sont toujours les mêmes. Il y a un mois, même les mandats des conseillers municipaux sont arrivés à terme et, par un décret, ils ont été prolongés. Nous avons donc partout des pouvoirs illégaux et illégitimes qui ne respectent pas la Constitution. Ce que nous avons dit au président, c’est que l’urgence était de régler toutes ces crises gravissimes qui impactent négativement la vie de la population. Les réformes institutionnelles ne sont pas l’urgence du moment.

Il n’a pas voulu écouter et nous avons dit à M. Déby que nous ne participerons pas à un tel forum dont l’objectif caché est tout simplement de prolonger le mandat du président. Le président a donc invité ses amis, dans une sorte de congrès du MPS avec leurs sympathisants mais ils sont allés au-delà même du rêve de Déby : non seulement ils ont donné deux mandats supplémentaires à Déby et ils ont supprimé toutes les institutions pour laisser Déby seul à la barque. Ils en ont fait un monarque absolu entre les mains duquel ont été confiés tous les pouvoirs : il n’y aura pas de Premier ministre. Déby sera donc président de la république, chef de l’État, chef du gouvernement, chef suprême des armées, président du Conseil suprême de la magistrature, général des corps d’armées, patron de l’ANS (Agence nationale de sécurité, c’est-à-dire la police politique qui traque les opposants). Il est aussi sultan de son bled, ainsi de suite. Nous avons par le passé le conseil de contrôle des ressources pétrolières. Mais même cette institution a été supprimée donc Déby devient le chancelier de l’Échiquier : même les ressources financières seront entre ses mains. Tout le monde sait que Déby, c’est un grand mauvais gestionnaire, il a conduit à la banqueroute. Aujourd’hui, le Tchad n’est même pas capable d’assumer les fonctions régaliennes, c’est-à-dire d’assurer les services de santé, l’éducation, le salaire du personnel… Il a dilapidé toutes ces ressources-là.

La question maintenant, c’est : est-ce que Déby va se présenter devant le peuple tchadien pour valider les résolutions du forum ou va-t-il s’adresser à cette Assemblée nationale illégitime ? D’après ce qu’on entend, Déby a peur de soumettre son projet de IVe République devant le peuple, il préférerait passer en force. C’est inimaginable que l’on change de République sans consulter le peuple tchadien. Nous, nous allons nous mettre vent debout contre ce projet et expliquer aux Tchadiens que c’est un autre coup d’État qui est en train de se préparer.

Quel rôle joue aujourd’hui Idriss Déby au niveau régional ?

Mahmat Alhabo : À un moment donné, Idriss Déby était au banc des accusés dans toute la région : un dictateur qui a éliminé beaucoup opposants, je pense notamment à Ibni Oumar Saleh, notre secrétaire général, porté disparu depuis février 2008. Il était dans ses petites bottes quand la crise malienne a débuté et les militaires français ont vivement conseillé au président Hollande d’aller demander à Déby d’accompagner les militaires français sur le théâtre des opérations au Mali. Et c’était pour lui du pain béni dans un contexte où il était rejeté, ostracisé par tout le monde. Il n’a donc pas hésité un seul instant et a envoyé les militaires tchadiens à des milliers de kilomètres jusqu’au Mali, un pays avec lequel le Tchad n’a pas de frontière.

Depuis lors, Idriss Déby a été qualifié de distributeur régional de sécurité : à côté du Tchad, il y a le Niger et le Nigéria où sévit Boko Haram, au Cameroun également. Déby est donc appelé à la rescousse à gauche à droite pour défendre ces pays-là et se présenter comme le sauveur régional. Mais Déby est à la fois pyromane et pompier car si vous prenez la crise en RCA, derrière le chaos, il y a l’armée tchadienne qui a été envoyée par Déby : elle a déstabilisé d’abord et renversé ensuite le président Patassé, démocratiquement élu, pour mettre au pouvoir Bozizé. Or comme Bozizé prenait de l’indépendance, du nationalisme, au développement de son pays, cela été considéré par Déby comme une outrecuidance et cela l’a décidé à renverser M. Bozizé avec la Sénéka qui a semé le désordre absolu en RCA. Aujourd’hui, la Centrafrique peine à se relever et c’est en partie à cause de la politique qu’a menée Déby dans ce pays-là. Déby représente un danger, non pas seulement pour les Tchadiens, mais pour toute la sous-région. En décembre, la Guinée équatoriale a suspecté le gouvernement tchadien d’avoir recruté des mercenaires pour aller renverser le président, sclérosé au pouvoir depuis plus de trente ans. L’Afrique centrale pose des problèmes réels de démocratie. Si vous prenez la moyenne des chefs d’État de cette région, ils sont depuis plus de trente ans au pouvoir. Vous prenez l’Afrique de l’Ouest, l’Afrique de l’Est, on voit des frémissements démocratiques, de l’alternance. Mais un pays comme le Tchad n’a jamais connu d’alternance depuis l’indépendance en 1960 : un pouvoir chasse l’autre par la voie des armes et s’installe pour y mourir en attendant qu’un autre le remplace. On l’a dit : ça suffit, il faut que le Tchad devienne un pays libre et démocratique qui organise ses élections. Nous nous battons pour cela.

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